A cette époque le cananéen avait disparu. Même lorsque l’araméen a gagné du terrain, l’hébreu était tout sauf une langue morte. Les manuscrits de Qumrân avaient été majoritairement rédigés en hébreu plutôt qu’en araméen.
Lors de la crucifixion de Jésus au Golgotha vers l’an 33, l’inscription du titulus (Jésus de Nazareth roi des Juifs) était en latin, en grec et en hébreu. Pas en araméen.
Sur les ossuaires retrouvés à Bethphagé près de Jérusalem, les inscriptions sont en hébreu. De même sur ceux retrouvés au Mont des Oliviers, et d’autres sur le Mont Scopus : « Hanania fils de Jonathan le Nazarite ». L’hébreu était en effet une langue quotidienne de communication. On retrouve cela sur la tombe de Jacques, dans la vallée du Cédron. Des fouilles récentes à la montagne du Temple à Jérusalem font apparaître une inscription monumentale en lettres paléo-hébraïques. Quant aux découvertes archéologiques de Massada, on y recueille des documents hébreux datant des années 70 après JC, ayant appartenu aux défenseurs de la citadelle assiégée. Parmi ces écrits, des fragments de psaumes, du Lévitique et de la Genèse. De même, l’hébreu était utilisé pour les activités cultuelles : les rouleaux, les offrandes, la dîme des prêtres, tout indique que l’hébreu avait une place éminente au 1er s.
Les documents découverts dans une grotte de Bar Kokhba montrent également que des écrits non bibliques étaient aussi rédigés en hébreu au 1er s. Par exemple sur un phylactère, un hymne de funérailles, des actes de mariage, des transactions immobilières, des contrats de loyer, etc.
L’époque de Constantin a joué un rôle important dans la construction d’églises et de chapelles sur des lieux de vénération antérieure. Des chapelles commémoratives ont été élevées sur les lieux mentionnés dans le Premier Testament et dans les évangiles : le site des bergers à Bethléhem, celui de la multiplication des pains, celui du sermon sur la montagne, celui de la transfiguration, celui de l’apparition du Christ après la résurrection, celui d’Emmaüs… Ces lieux étaient considérés comme reliés à des épiphanies.
Mais d’autres sites reliés au Premier Testament montrent le sens de la continuité chez les croyants issus du mouvement christique : le site du buisson ardent au Sinaï, une église de Saint Jacob à Béthel, le lieu d’ensevelissement de Eleazar fils d’Aaron, le lieu de la traversée du Jourdain par Elie et Elisée, etc. Pour les chrétiens des premiers siècles, la vénération des lieux événementiels rapportés par le Premier et par le Nouveau testaments ont la même valeur.
L’appel à la sainteté lié au territoire faisant partie de l’alliance est concrètement pris en compte par les premiers chrétiens. On trouve une attestation majeure de pèlerins chrétiens pérégrinant en terre sainte fin 2ème début 3ème s. Des églises sont construites à partir du 4ème s. dès la fin des persécutions, ce qui démontre l’attachement spirituel des pèlerins aux lieux saints bibliques.
Chez les juifs rabbiniques d’après 90, les prières juives anciennes laissent toujours apparaître le rôle central du pays d’Israël. La prière pour le rassemblement des exilés révèle la conviction que la galout est transitoire et non pas définitive. On prie trois fois par jour pour la rédemption messianique du peuple. En s’exprimant de cette manière, le peuple juif continue de rattacher sa destinée à la fois à Israël comme peuple et à Israël comme pays. La tragédie de l’an 70 n’a pas éradiqué ce repère central de la mission d’Israël que même les communautés de diaspora ne perdront pas de vue.
Les perspectives eschatologiques d’un avenir béni sont présentes dans les rites d’inhumation à Beth Shearim et à Tiberiade : au sol même du pays est attribué un rôle expiatoire « Le pays fera l’expiation pour le peuple » (Dt 32,43). Les rabbins affirment que « quiconque est inhumé en Eretz israel, c’est comme s’il était inhumé sous l’autel ou trône de gloire du temple ». On était persuadé que les morts inhumés en terre d’Israël seraient les premiers à ressusciter à l’ère messianique.
On comprend à travers ces réalités que la conception juive du rôle central du pays a influé sur la théologie chrétienne de la terre sainte dans l’Eglise primitive. De nombreux sanctuaires chrétiens commémorent des événements du Premier Testament. De ce fait, l’inhumation de reliques de martyrs dans des églises montre une continuité avec les rites juifs.
Pour illustrer le lien à la terre donnée par Dieu à son peuple, l’évangile de Jean insiste particulièrement sur l’enracinement de ses épisodes (Cana, le puits de Jacob, Jérusalem) dans le pays réel, pas dans un Israël céleste et abstrait. Ainsi la vision du monde des premiers chrétiens semble toujours focalisée sur la terre d’alliance.
On peut remarquer que la vénération de la tombe des saints joue un rôle important chez les juifs du 1er s. Si la religion officielle est étrangement muette sur le sujet, les écrits pseudépigraphiques et les récits de pèlerins juifs du Moyen Age abondent dans le sens avéré d’un culte traditionnel de mémoire des saints. Les tombes des saints bibliques vont, dans la même logique, jouer un rôle mémoriel pour les chrétiens des communautés primitives. On lit chez Matthieu : « les tombes s’ouvrirent et de nombreux saints endormis se relevèrent et sortant des tombeaux, ils pénétrèrent dans la cité sainte et apparurent à beaucoup » (27,52) Il s’agit bien ici de saints d’avant l’ère chrétienne qui sont remis en lumière face aux croyants de l’après-résurrection de Jésus.
Cette donnée littéraire et culturelle est le signe d’une transmission de la vénération propre à la religion populaire. L’ouvrage « Vitae prophetarum » écrit vers 130 ap. JC met en lumière l’importance d’une dévotion chrétienne envers les saints du 1er testament, qui passe par une connaissance des tombeaux juifs dédiés aux prophètes.
Lorsque se développent intensément les pèlerinages chrétiens autour du 4ème s. l’écrit anonyme intitulé « Pèlerin de Bordeaux » mentionne neuf tombeaux de saints, parmi lesquels finalement un seul relève du Nouveau testament, celui de Jésus à Jérusalem. Egérie, rédactrice de son périple en terre d’Israël, se donne pour but de visiter les tombes des saints du premier Testament. Elle nomme ainsi six tombes dont seulement deux sont du Nouveau testament. Elle tient aussi à honorer les grottes mentionnées dans la Bible : celle de Moïse, celle d’Elie, celle d’Abraham, et celle où Abdias cacha des prophètes menacés.
Pierre le Diacre quant à lui dénombre vingt tombeaux de saints à visiter : seize sont du premier Testament et quatre du Nouveau : Jésus, Jacques, Jean Baptiste et le fils de la veuve de Naïm. Cela s’explique par le fait qu’Egerie et Pierre associent les grottes à des théophanies, ce ne sont donc pas les lieux en eux-mêmes qui les intéressent, mais les événements dont ils sont porteurs. Cette tradition chrétienne perpétue une tradition juive préexistante.
On constate par-là que, dans ces premiers temps de développement parallèle du christianisme et du judaïsme rabbinique, l’idée biblique de peuple de Dieu est visiblement reconnue de part et d’autre comme étant liée à la réalité historique de la terre d’Israël. Ce sont les événements fondateurs du salut qui l’ont imprégnée et qu’elle offre à la vénération des générations de croyants en vue de leur cheminement en lien avec le Dieu de la Bible.
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