Le 14 mai 2023, à la veille d’une rencontre Volodomyr Zelinsky, Emmanuel Macron annonçait solennellement que le sort de la Russie était d’ores et déjà scellé. Dans une interview donnée au journal “L’Opinion”, l’occupant de l’Élysée estimait que Vladimir Poutine avait déjà “perdu géopolitiquement” la guerre en Ukraine.
De nouveau, ce 16 février, avant de promettre 3 milliards à son ami pianiste (en plus des 50 milliards que versera l’UE auxquels la France contribue), Emmanuel Macron reprend son argumentaire otanien et appelle à un sursaut international contre la Russie. Selon lui, la Russie « impérialiste et révisionniste » s’est lancée dans « une phase d’agression à l’égard des pays européens par des actions de désinformation mais aussi par des attaques cyber à une échelle et avec des franchissements de seuil qui en changent la nature et de durcissement dans son pays. »
L’UE en est à la 12e série de sanctions économiques contre les intérêts russes qui concerneraient 1 800 personnes et entreprises. « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe », nous déclarait le Bruno Le Maire le 1er mars 2022. « Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe !».
Deux plus tard, le 13 févier dernier, Stéphane Séjourné, tout juste nommé ministre des Affaires étrangères, s’est lancé dans une déclaration messianique à l’Assemblée nationale sur l’économie russe. En 53 secondes il a battu le nombre de contre-vérités à la minute !
L’économiste Jacques Sapir (*), spécialiste de la Russie, étudie et analyse depuis plus de 30 ans la situation économique et géostratégique de la Russie. Il a une approche chiffrée très différente des affirmations péremptoires de Bruno Le Maire, Stéphane Séjourné ou de Joseph Borell, son homologue à l’UE.
« Les Russes mentent quand ils prétendent que leur économie va bien », déclare le ministre.
Non. C’est le FMI qui l’affirme, et qui valide par là même les chiffres de l’institut russe de statistiques, le FSGS (connu comme ROSSTAT).
Notons que les chiffres du FMI sont légèrement supérieurs à ceux récemment donnés par l’INSEE pour la France, car le FMI se base sur des notes de l’INSEE de début décembre 2023 et non les derniers résultats.
« L’investissement russe s’effondre… », renchérit-il.
Deuxième contre-vérité. L’investissement, au sens de la Formation Brute de Capital Fixe est passé de 22 % du PIB en 2021 à 22,5 % en 2022 et à 27,0 % en 2023. En valeur le montant est supérieur de 25 % à celui de 2021 (en prix constants).
« Les économies européennes sont fortes », se rassure-t-il.
Autre mensonge. L’UE a les perspectives de croissance les plus faibles dans le monde, suivant les données du FMI. Monsieur Séjourné, qui a toute notre indulgence quant à ses difficultés d’élocution, ne sait visiblement pas lire non plus.
De plus, en comparaison en Parité de Pouvoir d’Achat, nous faisons pâle figure par rapport à la Russie. À noter que la part de l’industrie dans le PIB français est de 14 % et que la part de l’industrie dans le PIB de la Russie de 26 %.
En conclusion, Jacques Sapir s’interroge : « soit M. Séjourné est incompétent, ou ne lit pas les notes de son cabinet, et c’est un mauvais ministre ; soit il est compétent et c’est un menteur, qui propage de fausses informations depuis l’Assemblée nationale, ce qui relève de la forfaiture. »
Jean-Yves Léandri
(*) Jacques Sapir, né le 24 mars 1954 à Puteaux, est un économiste français spécialiste de l’économie russe. Il enseigne à l’université Paris-Nanterre, avant de devenir maître de conférences puis directeur d’études à l’EHESS, directeur du Centre d’études des modes d’industrialisation et responsable de formation doctorale.