(Photo d’illustration: nécropole nationale de Craonnelle)
Le lundi 3 août 1914, la France vit toujours dans une Belle Époque qui s’ignore comme telle puisque l’Europe, juste au bord du gouffre, ne s’est pas encore suicidée dans une guerre dont les conséquences géopolitiques seront irréversibles pour elle et le monde.
Mais l’atmosphère est chargée de menaces et, dans leur édition du jour, Les Échos de Paris publient, entre autres, une « Circulaire du ministre de l’Instruction publique aux instituteurs » qui, aujourd’hui provoquerait des grèves reconductibles à souhait et où on peut lire : « Les instituteurs qui ne sont pas appelés sous les drapeaux n’hésiteront pas à faire à leur pays le sacrifice de leurs vacances. […] Ils donneront, dans chaque commune, l’exemple du sang-froid et du zèle patriotique »… !
Le procès d’Henriette Caillaux s’est achevé quelques jours plus tôt, le 28 juillet, avec l’acquittement de l’intéressée, qui comparaissait pour l’assassinat de Gaston Calmette, directeur de la rédaction du Figaro s’étant à son goût, dans son journal, un peu trop acharné sur son mari, l’homme politique Joseph Caillaux, qu’on accusera, à raison, d’avoir pesé sur les jurés afin qu’ils rendent un verdict favorable à sa chère et tendre.
Cette affaire a monopolisé les esprits, pendant que les chancelleries se préparaient à l’inévitable, par la volonté d’un empereur complexé par son handicap – un bras gauche paralysé et atrophié –, inconstant et en proie à des mouvements d’humeur imprévisibles ayant plus d’une fois provoqué des tensions internationales. Guillaume II n’a donc retenu aucune leçon de son premier chancelier, Otto von Bismarck, qu’il avait forcé à démissionner de son poste en 1890. Un Bismarck prophétisant à l’époque que ce souverain « pourrait mener l’Allemagne à la guerre sans le vouloir ni même s’en rendre compte ».
(Mémorial des batailles de la Marne, Dormans, Marne)
Certes, d’autres facteurs ont entraîné la guerre, mais Guillaume II n’y a pas peu contribué, en préférant notamment écouter les sirènes guerrières d’un Erich von Falkenhayn, par exemple, son ministre de la Guerre qui, plus tard, en sa qualité de chef d’état-major général, voulut « saigner à blanc l’armée française » à Verdun, avec le « succès » que l’on sait !
Ainsi, après avoir mobilisé et déclaré la guerre à la Russie le 1er du mois, l’Allemagne déclare la guerre à la France le 3 août qui, en signe de bonne foi et malgré sa mobilisation, avait fait auparavant reculer ses troupes de la frontière allemande de quelques kilomètres. Las, ce 3 août, à 18 heures, c’en est fini des espoirs pacifiques et les hommes s’en vont à la guerre, pas tous avec la fleur au fusil, contrairement à une légende tenace.
(Mémorial des batailles de la Marne, détail)
Parmi eux se trouve un lieutenant âgé de 41 ans, écrivain prodigieux qui tombera sous les balles ennemies le 5 septembre de la même année, à la veille de la première bataille de la Marne, enterré depuis dans une petite nécropole de Seine-et-Marne : Charles Péguy, qui « éprouvait l’intime satisfaction d’appartenir au prolétariat des champs de bataille, à la piétaille anonyme, à cette infanterie en capotes bleues et pantalons rouges, vieille souveraine des mêlées toujours sur la brèche, descendante glorieuse des bandes de Picardie, Champagne, Navarre et Piémont, héritière des régiments du roi en habits blancs, légataires des demi-brigades dépenaillées de la République, fille des grenadiers d’Oudinot qui gagnaient les batailles de l’empereur avec leurs jambes » (Jean-Claude Demory, La Mort du lieutenant Charles Péguy ou La dernière semaine de vie du lieutenant Charles Péguy).
(Nécropole nationale de Chauconin-Neufmontiers, Seine-et-Marne)
Le 4 août, au mépris de sa neutralité – tout comme pour le Luxembourg envahi le 2 août –, l’Allemagne envahit la Belgique. L’Angleterre lui déclare alors la guerre. Une guerre qui entraînera le monde ; un monde dont l’Europe cessera d’être la boussole, pour le meilleur, diront certains, pour le pire, selon moi.
Un autre écrivain et lieutenant, ami de Charles Péguy, est lui aussi mobilisé en ce mois d’août 1914 : Henri-Alban Fournier, plus connu sous le pseudonyme Alain-Fournier, auteur du sublime Grand Meaulnes. Il mourra le 22 septembre suivant, quelque part dans la Meuse. Son corps ne sera retrouvé qu’en 1991 et ensuite inhumé dans la nécropole nationale de Saint-Remy-la-Calonne.
Le lendemain, lorsque la guerre est bien là, Clemenceau écrit ceci : « Et maintenant aux armes, nous tous ! J’ai vu pleurer parmi ceux qui ne peuvent pas commencer. Le tour de chacun viendra. Il n’y aura pas un enfant de notre terre qui ne participera à l’énorme lutte. Mourir n’est rien. Nous devons gagner. Et pour cela, nous avons besoin de tout le pouvoir des hommes. Le plus faible aura sa part de gloire. Il arrive des moments, dans la vie des peuples, où passe sur eux une tempête d’action héroïque. » Mais Clemenceau ne connaîtra pas la Marne, l’Artois, la Champagne, Verdun, la Somme, le Chemin des Dames, etc. Pour lui – bien qu’il ne fût pas le pire dans cette histoire – mourir ce n’était peut-être rien mais pas pour un gamin de vingt ans pris sous une pluie d’obus et de balles de mitrailleuse.
(Tranchée du mémorial terre-neuvien de Beaumont-Hamel, Somme)
Les soldats français, en ces premiers temps de la guerre, partaient combattre dans une armée si mal pourvue en artillerie lourde, accoutrés d’un pantalon rouge – le fameux pantalon garance – et sans casque. Le casque Adrian ne sera distribué, tout comme la tenue bleu horizon, que dans le courant de l’année 1915, après des dizaines de milliers de poilus morts ou blessés faute d’un matériel de protection adéquat. Pour la seule journée du 22 août 1914, quelque 27 000 soldats français meurent au cours de la bataille des frontières. Ce sera la journée la plus meurtrière du conflit pour l’armée française.
(Détail du monument aux morts de Saint-Christophe-à-Berry, Aisne)
Les mois suivants seront d’ailleurs parmi les plus coûteux en vies humaines pour notre pays. Cela à cause, notamment, de généraux de salon qui se rêveront en maréchaux d’Empire en proposant des offensives anachroniques, inutiles et meurtrières et que réprouvait Pétain. Lequel démontrera par la suite qu’on peut être économe en vies humaines et gagner de grandes batailles, comme celle de La Malmaison, en octobre 1917, qui mit un terme au désastre du Chemin des Dames. Et les fusillades pour l’exemple allaient bon train dans ces premiers mois de guerre.
À l’instar de Charles Zorgbibe : « On peut toujours rêver à ce qu’aurait été l’Europe sans le cyclone de la Première Guerre mondiale et ses neuf millions de morts [chiffre à revoir à la hausse] parmi les générations les plus jeunes, et imaginer une Allemagne impériale qui aurait survécu, avec sa forte structure et ses repères, son évolution vers un parlementarisme classique – une Allemagne où l’aventure hitlérienne n’aurait pu prendre forme… » (Guillaume II : Le dernier empereur allemand). Mais guerre il y eut…
(Monument aux Six Fusillés de Vingré, ou Martyrs de Vingré, Aisne)
[Petite anecdote : si vous possédez un casque de poilu avec un léger renfoncement, ce n’est souvent pas dû à un choc extérieur mais parce qu’à l’époque les grenades à main françaises les plus utilisées étaient les Citron Foug, qui fonctionnaient par percussion sur une surface dure. Or, des surfaces dures dans des tranchées faites de boue ou dans le no man’s land, ça ne se trouvait pas toujours. Aussi, les Poilus frappaient la grenade contre leur casque pour la lancer ensuite.]
(Détail des Fantômes, de Paul Landowski, à Oulchy-le-Château, Aisne)
Il y a 109 ans, la France entrait dans la plus terrible guerre de son histoire…
(Photos : Charles Demassieux)
Il y a 109 ans, le 3 août 1914, la France entrait en guerre
Le lundi 3 août 1914, la France vit toujours dans une Belle Époque qui s'ignore comme telle puisque l'Europe, juste au bord du gouffre, ne s'est pas encore suicidée dans une guerre dont les ...
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