Le romancier bahreïni Ahmed Juma est très connu dans son pays comme dans les pays du Golfe pour son esprit libre, courageux et lucide. Ses romans y connaissent également un grand succès. Il occupe au Bahreïn plusieurs postes dans les domaines des médias et de la culture. Il est également journaliste et publie ses articles dans les quotidiens Al-Ayam et Al-Khaleej comme sur différents sites électroniques, notamment sur https://loutespublishing.com, sur lequel le texte suivant a été publié le 2 décembre 2023.
Vu l’originalité de ce texte, son réalisme et sa pertinence, nous avons souhaité le reproduire en français afin que les lecteurs francophones puissent entendre une autre voix de raison venant du monde arabo-musulman au cours de la crise qui ensanglante actuellement le conflit israélo-palestinien.
Ahmed Juma est très influencé par un poète syrien du XIe siècle, Abu al-Alaa al-Maari, un hérétique très connu pour son fameux slogan : « Deux sortes de gens sur terre : ceux qui ont une religion et manquent de raison ; et ceux qui n’ont pas de religion et ont une raison. » Voici son essai :
Le poète syrien Al-Maari avait écrit : « Tous les soupçons sont faux. Il n’y a d’imam que celui de la raison », mais il est hélas absent à notre époque.
Aujourd’hui c’est « l’imam de l’ignorance » qui règne. Il conduit un troupeau de plusieurs millions de musulmans dans un fossé sans fond. Il les glisse plutôt vers l’abîme préislamique. Son esprit de raison ne pèse pas plus qu’une plume en l’air, puisqu’il ne voit pas dans la terrible défaite que nous subissons qu’une « grande victoire ». C’est là où se manifeste l’ultime mentalité incrédule de ce troupeau égaré.
Les musulmans pensent toujours que leur victoire est inéluctablement « divine » et que des millions de réfugiés arabes dans le monde sont le carburant le plus puissant pour assurer cette victoire sur Israël. Pour eux, la facture n’est pas seulement palestinienne, mais elle comprend aussi des centaines de milliers de victimes innocentes et de blessés, des millions de personnes déplacées, mais aussi la destruction des infrastructures médiocres.
Le mouvement Hamas ne s’intéresse en réalité qu’à collecter des missiles, construire des tunnels, dépenser des millions de dollars pour héberger et entretenir ses dirigeants dans des hôtels cinq étoiles et lutter à distance. Bien que la bande de Gaza se consume et crame, « leur victoire divine » demeure toujours acquise dans leurs esprits, et selon leurs médias, suite à pogrom qu’ils ont bien réalisé le 7 octobre 2023.
Leur défaite sur le terrain n’est pas la plus grave. Le pire c’est plutôt la défaite de centaines de millions de musulmans ainsi que celle de « l’imam de l’ignorance » qui les incite à danser et à célébrer les présumées « victoires divines » obtenues par une organisation extrémiste que dirigent à distance les Frères musulmans.
Ils pensent également qu’avec leur défaite ils vaincront le monde et que Jérusalem leur sera offerte sur un plateau en or. Ils oublient totalement que durant plus de 70 années maigres ils ont été soumis à une drogue puissante, supérieure même à la bombe nucléaire, qu’on appelle « la Palestine libérée du fleuve à la mer ».
Ils sont toujours persuadés que grâce aux « imams de l’ignorance », celui de Qom en Iran, du Hezbollah au Liban sud, d’un certain nombre d’imams modernes résidant à Doha et en Turquie, ainsi que grâce au groupe du stupéfiant Qat à Saada au Yémen, ils vaincront non seulement Israël, mais également l’Amérique et le monde entier.
Mais avec quoi et comment ?
C’est en courant toujours derrière ces imams qui mènent leur troupeau à la prière de l’ignorance. Ils ne se rendent pas compte que cette prière n’a jamais contribué, depuis le milieu du siècle dernier, à libérer un pouce de terre, mais plutôt à ensorceler, avec des danses et des tambours, l’esprit de ceux qui rêvent toujours de « la victoire divine », grâce à une drogue qui s’appelle « Palestine » !
Il est temps que les Arabes et les musulmans, les dirigeants et les peuples du Proche et du Moyen Orient se rendent compte que cette drogue nous engourdie et même nous assomme. Pour cette raison, nous avons tout négligé, nos patries, nos vies et nos sociétés. Nous avons surtout négligé nos systèmes de santé, d’éducation, de culture, de science et même nos libertés. Nous nous sommes abasourdis par les défaites que nous avons imaginées comme des victoires acquises. Nous avons fait disparaître Israël dans nos rêves, alors qu’Israël nous a en réalité fait disparaître de la carte, de la géographie, de l’histoire et de la civilisation.
Hélas ! Et méga hélas ! S’il avait été possible et surtout raisonnable de restaurer, depuis 1948, la Palestine en tant qu’État ami et voisin de celui d’Israël et de construire ensemble un avenir prospère, ces deux États auraient pu constituer, en fonction d’une coopération sérieuse et honnête, les deux pays les plus puissants du Moyen-Orient.
Malheureusement, « l’imam de l’ignorance » [et non « celui de la raison » dont parlait le poète hérétique Abu Al-Alaa Al-Maari] se trouve toujours accro à sa drogue préférée. Ainsi demeure-t-il obsédé, fixé et résolu à mener jusqu’au bout la bataille de « libération de la Palestine du fleuve à la mer » ! Rien ne fera reculer sa détermination aveugle et suicidaire.
Voilà, hélas, dans quel abîme nous plonge cette drogue permanente dite « Palestine ».
À bon entendeur, salut !
Maurice Saliba