C’est un bien triste constat que vient de faire Anna Novikova, présidente de l’association SOS Donbass, dont le compte bancaire et l’assurance viennent d’être résiliés en France sans motif valable. Le seul tort de cette association : réaliser des collectes pour organiser des convois humanitaires visant à porter secours aux populations russophones et notamment aux enfants du Donbass.
Vous avez créé SOS Donbass en septembre 2022. Quels sont vos liens avec le Donbass ?
Je suis née en Sibérie mais mon arrière-grand-père était un cosaque de Kouban. Or, les cosaques de Kouban ont émigré du Donbass. Lorsque l’Opération spéciale a débuté j’ai eu l’intuition qu’il était important que je me rende sur place. Je suis allée dans la région de Donetsk et de Marioupol en août 2022. Ce que j’ai constaté là-bas m’a conforté dans le fait qu’il était vital que les habitants du Donbass soient entendus en Europe.
Vous avez eu des difficultés pour entrer au Donbass ?
En tant que Russe je peux y entrer sans problème. Mais la première fois j’étais accompagnée par mon ami Adrien Bocquet. Je suis venue en tant que sa traductrice.
Nous sommes allés dans différents villages et à Marioupol où nous avons visité un centre médical qui était en construction ainsi que la maternité qui a été détruite lors des combats dans la ville.
Qu’est-ce que vous avez pu découvrir sur place ?
De nombreux bombardements. Certains visaient notamment une station d’épuration d’eau. Le but étant pour les Ukrainiens de Kiev de perturber la vie des civils. L’eau de la station n’est pas potable mais elle permettait au moins de pouvoir se laver. C’était important du fait que les Ukrainiens avaient déjà détruit l’alimentation en eau potable de la ville. Ainsi, à cette époque les habitants de Donetsk n’avaient de l’eau que tous les trois jours. Heureusement, depuis son arrivée l’armée russe a rétabli une alimentation en eau qui, bien que limitée, est journalière.
Je me suis rendue à l’hôpital où il y avait de nombreux enfants blessés dont un garçon de seize ans qui avait marché sur une mine pétale qui lui a arraché le pied. Une infection s’est déclarée et il a fallu l’amputer jusqu’au genou.
J’ai vu tellement d’horreurs cette fois-là qu’en rentrant j’ai décidé de créer SOS Donbass.
Quel but avez-vous voulu donner à votre association ?
Le but premier de l’association c’était de faire connaître la vérité sur ce que vivent depuis 2014 les habitants du Donbass à travers des manifestations un peu partout en Europe. Ici l’objectif est que les Français commencent quand même à tourner un peu le regard vers la Russie et comprennent vraiment que la guerre n’a pas commencé en février 2022 mais en 2014. Aujourd’hui après 10 années de la révolution orange et plus de 18 000 civils tués, l’armée ukrainienne continue de bombarder les populations à l’aide notamment des canons Caesar et des missiles Scalp fournis par la France. Ainsi, en septembre dernier l’AFU a frappé les quartiers de Novaya Kakhovka dans la région de Kherson le coup massif a été porté sur des maisons résidentielles. L’armée ukrainienne bombarde régulièrement Novaya Kakhovka. L’AFU a endommagé un gazoduc. Deux jours auparavant, l’armée ukrainienne avait porté un coup massif à la ville, perturbant l’approvisionnement en électricité et en eau. Ils ont également détruit une station d’ambulance.
Le problème est que les personnes qui nous soutiennent ont souvent peur de participer à des manifestations en soutien à la Russie et au Donbass du fait de la russophobie provoquée par les médias de masse et soutenue par le gouvernement européen. Aussi nous communiquons beaucoup sur les réseaux sociaux et j’interviens auprès de médias indépendants tels que vous qui ne véhiculent pas de propagande antirusse.
Il faut bien comprendre que pour les habitants du Donbass l’attitude de l’Europe est totalement incompréhensible. Pourquoi est-ce que l’Europe envoie des armes à l’Ukraine et alimente ce conflit au lieu d’envoyer des diplomates pour le calmer ? Face à cette incompréhension les russophones du Donbass ont perdu tout espoir d’être entendus.
Vous pensez que la russophobie officielle fait partie des exigences de la Commission européenne ?
La Verkhovna Rada ukrainienne a adopté un projet de loi restreignant le droit de parler la langue russe pour ce qu’ils appellent les minorités nationales. Ce projet de loi vise à répondre aux exigences de la Commission européenne. Par conséquent oui, il y a de fortes chances.
Votre association a de nombreux correspondants en Europe ?
Nous avons des camarades en Italie, en Allemagne, en Belgique, en Espagne, en Bulgarie, mais aussi en Suisse, en Autriche et en Angleterre, qui nous soutiennent. Nous avons organisé en tout sept manifestations sur 2022/2023. A chaque fois que nous organisons quelque chose en France, nous mettons en place la même manifestation dans d’autres pays Européens pour faire le buzz.
Vous avez des retours des médias européens lors de vos manifestations ?
Lors de la première qui s’est tenue à Pau, la presse quotidienne régionale était venue, mais par la suite les médias ne sont pas revenus. Nous avons envoyé de nombreux communiqués de presse depuis mais en vain. Nous n’avons jamais eu le moindre retour. Désormais seuls les médias russes sont présents lorsque nous organisons quelque chose.
Je me rends bien compte que les médias français sont aux ordres. Ils ont une ligne qu’ils doivent suivre : l’Ukraine est la victime et la Russie l’agresseur et toute manifestation en faveur de la vérité et en soutien des russophones du Donbass il ne faut pas en parler.
J’ai participé à la manifestation de Florian Philippot contre l’Otan et la fourniture d’armes à l’Ukraine. Nous étions environ 10 000 à marcher dans Paris. Et même ses manifestations ne sont jamais couvertes par les médias. C’est l’omerta la plus complète. Alors que faire ?
Vous avez organisé récemment une manifestation à Paris. Comment les choses se sont-elles déroulées ?
La dernière action de SOS Donbass s’est déroulée au pied de la Tour Eiffel. Des pro-Ukrainiens ont essayé de venir perturber notre rassemblement qui était pacifique, mais ils ont été évincés par la police qui s’est montrée très efficace.
A priori vous êtes « fichée S ». Qu’avez-vous fait de si grave pour en arriver là ?
Honnêtement je n’en sais rien. Je suppose que c’est parce que je soutiens « l’agresseur russe », Poutine aussi, donc automatiquement je deviens une personne potentiellement dangereuse. Personne ne m’avait prévenue mais je m’en suis aperçue lorsque j’ai pris l’avion à Roissy et qu’il m’a été interdit d’utiliser les guichets automatiques. Il a fallu que je me rende auprès d’un policier qui a scanné toutes les pages de mon passeport et ma carte d’embarquement. Cette situation ne se produit qu’en France. Lorsque je prends une correspondance à Istanbul ou à Belgrade, je voyage très normalement.
Dans la mesure où ça ne me pose pas de problème dans ma vie privée je trouve ça un peu « comique ». Maintenant lorsque je passe la frontière de la France, à l’aéroport je dis au policier : « Bonjour, je suis fichée S parce que je suis militante pro-russe, n’ayez pas peur. »
Pourtant jusqu’à présent le gouvernement français ne vous a pas empêché de mener les activités de l’association SOS Donbass ?
Jusqu’à aujourd’hui, la réponse aurait été : « Non, on est dans un pays démocratique. » Du moins je le croyais. Récemment, nous avons reçu une « lettre de bonheur » de la Banque postale, qui nous indique que le compte de l’association sera fermé dans deux mois, sans explications. J’ai pris contact avec eux pour essayer de comprendre. La réponse a été sibylline : « Nous avons le droit de fermer le compte d’un client comme un client a le droit de fermer son compte. » Pourquoi ? Mystère.
Nous avons le même problème avec la MAIF qui assurait jusqu’alors notre association. Ils clôturent notre assurance sans aucune raison. Nous n’avons jamais eu de découvert, ni de retard de paiement, ni fait quoi que ce soit qui justifie l’attitude de ces deux organismes.
Bienvenue chez les démocrates…
Quelles sont les principales actions menées par votre association en dehors des manifestations ?
Nous collectons de l’aide humanitaire pour les habitants du Donbass, grâce aux donateurs de plusieurs pays européens.
Les volontaires envoient de la nourriture, des médicaments, des vêtements, des articles d’hygiène, des appareils de chauffage, ainsi que des lits d’hôpitaux, des déambulateurs, etc.
Nous collectons également de l’argent destiné aux hôpitaux mais aussi aux personnes âgées qui mendient dans la rue. Nous avons un bénévole à Lougansk qui s’occupe particulièrement des personnes âgées qui ont besoin d’aide.
Il y a beaucoup de personnes âgées qui mendient ?
Oui, parce que depuis le début de la guerre la sécurité sociale ne fonctionnait presque plus. En 2014 l’Ukraine a coupé tous les financements dont le paiement des retraites. A l’époque Porochenko avait déclaré que « les enfants du Donbass allaient rester dans les sous-sols, les personnes âgées n’auraient plus de retraite, ils n’auraient plus rien ». Il faut comprendre que pour le gouvernement de Kiev que les ouvriers du Donbass meurent c’était très bien. Ils voulaient récupérer les terres et les industries car la région est très riche. Couper les retraites, couper l’eau, faisait partie d’un plan pour éliminer les habitants de ce territoire.
La situation est restée délicate pour les gens âgés du fait que désormais, la majorité du budget va au financement de la défense. La présence des militaires qui ont des salaires élevés a également provoqué une hausse importante des prix dans les épiceries ce qui n’a pas arrangé leur situation.
Vous avez organisé combien de convois humanitaires et comment se passe l’opération à chaque fois ?
Nous avons fait deux convois humanitaires en un an. Le premier a été envoyé fin avril et s’est déroulé sans problème. C’est un bénévole qui a une entreprise de transport qui nous prête un camion semi-remorque et qui le conduit jusqu’au Donbass.
Pour le second, nous sommes partis le 8 octobre et nous sommes arrivés au Donbass le 28 novembre. Nous avons passé 40 jours à la douane intérieure russe du fait que nous amenions de l’aide humanitaire en provenance de pays ennemis.
Ceci dit la « méfiance » de la douane russe nous a peut-être sauvé la vie. J’ignore comment les Ukrainiens ont pu le savoir, mais notre lieu de déchargement prévu à Donetsk a été bombardé juste au moment où nous devions y être. Étions-nous visés ou est-ce le hasard, le fait est que sans ce problème de douane nous serions morts ainsi que tous les membres des associations partenaires sur place qui distribuent ce que nous apportons.
Vous avez apporté quel type d’aide humanitaire et d’où vient-elle ?
Pour ce convoi, nous avons reçu des dons de huit pays européens, de 30 points de collecte qui ont été mis en place par nos correspondants.
La cargaison de 18 tonnes comprenait environ 30 fauteuils roulants, 170 déambulateurs, 5 lits d’hôpitaux, une tonne d’aliments pour animaux, des pansements, des médicaments, des dispositifs de chauffage et d’autres petits appareils ménagers, des vêtements, des produits d’hygiène, de la nourriture pour les habitants, ainsi que 3 kg de graines et semences de l’entreprise Kokopelli.
D’ailleurs je tiens à remercier tous ceux qui nous ont soutenus durant toute l’année 2022-2023. C’était une année complexe avec beaucoup de travail, de sacrifices, mais aussi de la réussite. On continue le travail malgré tout. Les habitants du Donbass comptent sur nous.
Suite à votre dernier voyage quel constat pouvez-vous faire ?
Bien que la région de Kherson ait été rattachée à la Russie à la suite du référendum organisé en septembre 2022, la partie ukrainienne ne reconnaît pas sa légitimité et ils continuent donc de bombarder le territoire et ses habitants.
A Donetsk le quotidien s’est un peu amélioré malgré les bombardements journaliers, parce qu’au moins il y a de l’eau tous les jours entre 18 h et 21 h. C’est un gros progrès. Les prix dans les magasins ont beaucoup augmenté ce qui crée une forme de pauvreté. Les jeunes gens sortent se promener le soir jusqu’au couvre-feu de 23 h. La circulation automobile est redevenue normale. A Louhansk, il n’y a plus de bombardements et sous l’action des Russes la ville de Marioupol est presque entièrement restaurée.
Pour que la guerre s’arrête il faudrait que les Ukrainiens acceptent de négocier mais c’est impossible parce que l’Otan ne les y autorise pas.
La vérité doit apparaître, la guerre au Donbass doit prendre fin. Donc la Russie n’a pas le choix il faudra qu’elle poursuive son opération spéciale jusqu’au bout.
Propos recueillis par Valérie Bérenger
Pour les aider : https://www.sosdonbass.org/mission-humanitaire