« Si l’on supprimait les hypocrites et les traîtres, il resterait peu d’hommes en ce monde »
(Sosthène de La Rochefoucauld-Doudeauville ; « Le livre des pensées » (1861))
Le 24 août dernier, la presse nous annonçait la mort « accidentelle » d’Evgueni Prigojine, le patron du groupe Wagner, après sa pseudo-tentative de putsch et sa marche-éclair sur Moscou.
Disons, avant d’aller plus loin, que je n’ai pas cru un seul instant à la volonté de Prigojine de renverser le régime. À qui va-t-on faire croire que Vladimir Poutine aurait laissé une troupe en armes parcourir 700 km en territoire russe sans qu’on cherche sérieusement à l’arrêter ? Il faut se souvenir qu’en 1984, il a suffi de… deux Mirages français pour stopper l’avancée des troupes de Kadhafi au Tchad. Et je ne crois pas non plus à la thèse de l’accident causant la mort de Prigojine. Ce type devenait dangereux et incontrôlable ; Poutine s’en est débarrassé. Depuis toujours les Russes ne sont pas des tendres. Sans parler, une nouvelle fois, des purges de Joseph Staline, souvenons-nous que les généraux soviétiques ont fait tuer… 23 millions d’hommes pour venir à bout des Allemands durant la Seconde Guerre mondiale. Chez eux une vie humaine n’a pas la même valeur qu’en Occident.
Si j’évoque Evgueni Prigojine un mois après sa mort, c’est à la suite d’une discussion avec un ami pour qui Poutine est le diable incarné, Zelensky un saint homme et ceux – dont je suis – qui n’applaudissent pas le « camp du bien », des suppôts de Satan. Pour m’en convaincre, il m’a servi un discours dans la droite ligne du « politiquement correct » et de la bien-pensance. Or j’en ai un peu marre des stratèges de Café du Commerce et de leurs analyses simplistes et binaires : d’un côté il y aurait les bons, les démocrates, et de l’autres les méchants régimes « totalitaires ».
L’argument-massue de mon interlocuteur, celui qui devrait clore toute discussion, interdire toute objection, c’est que « chez nous on n’assassine pas les opposants politiques… ». En réalité, ce genre de dialectique ne traduit qu’une chose ; une méconnaissance crasse de notre histoire.
Mais c’est une position, somme toute, assez logique: dans notre France avachie, repentante et socialisante, depuis déjà bien longtemps les médias ne remplissent plus leur rôle d’information ; ils polluent les esprits, ils interprètent, ils servent la soupe au pouvoir, ils travestissent la vérité et se complaisent dans l’émotionnel, le sensationnel, le sordide, le salace ou le crapoteux. L’important pour ces gens-là n’est pas de relater honnêtement un événement mais de l’interpréter car, de nos jours, tout journaliste se doit d’être «engagé» (toujours à gauche bien sûr !).
Ils savent pertinemment qu’ils mentent mais chacun veut sa place au Bal des faux-culs !
Lors de l’affaire Khashoggi, ce journaliste saoudien, qui pénétra – pour solliciter un passeport – dans le consulat d’Arabie Saoudite d’Istanbul où il a été torturé, puis démembré par des nervis des services secrets saoudiens, notre presse a joué les vierges effarouchées et fait semblant de découvrir la barbarie de pays dans lesquels on coupe la main des voleurs, on lapide les femmes adultères, on brûle vif celui qui insulte le prophète… Depuis le temps que ces braves gens nous expliquent, avec force et conviction, que l’Islam est une religion « de tolérance, d’amour et de paix », on avait fini par oublier comment on punit les traîtres – ou présumés tels – en terre d’Islam. Ce que la presse a omis de nous dire, c’est que Khashoggi n’était pas tout à fait un journaliste ordinaire. Il avait couvert, en Afghanistan, la fin de la guerre menée contre l’Armée rouge et la guerre civile qui lui succéda. Il était alors l’ami d’un jeune chef, un certain…Oussama Ben Laden. C’est lui qui organisa la rencontre du fondateur d’Al-Qaïda avec Robert Fisk, seul reporter occidental à avoir interviewé Ben Laden. Plus tard, il devint l’homme de confiance de Turki Al-Fayçal, qui dirigeait les services secrets saoudiens.
C’était une sorte de « barbouze » ou d’« honorable correspondant » des services secrets saoudiens. Il se détourna de son pays tardivement, sans qu’on sache exactement pourquoi. Il disait partager les visées réformatrices du prince Mohamed Ben Salman, mais jugeait ce dernier trop autoritaire, trop imprévisible et trop sanguin. Savait-il qu’en s’engageant dans cette nouvelle vie d’exilé, il signait son arrêt de mort ? On suppose que oui. Quand on grenouille dans le monde trouble des services secrets, quand on côtoie des Ben Laden et consorts, on en mesure les risques : en principe « pour souper avec le diable, il faut une longue cuillère », comme écrit Shakespeare (dans « La Comédie des Méprises »).
Mais chez les démocrates, ces pratiques barbares n’existent pas, mon œil !
Ne remontons pas à la mort d’Alexandre Stavisky qui, selon la presse de droite de l’époque, s’est suicidé « d’une balle tirée à bout portant dans le dos ». Ce scandale date de la IIIe République, « la République des Francs-maçons » (1) et il est à l’origine des émeutes du 6 février 1934.
Contentons-nous de citer quelques affaires qui démontrent que nos démocraties aseptisées savent, elles aussi, se débarrasser des gêneurs. Cette liste n’est pas exhaustive, loin s’en faut.
Qui a oublié, par exemple, le suicide – contesté depuis des années par sa famille – de l’ancien ministre Robert Boulin (2) ? À la même époque en gros, le prince de Broglie était abattu au pistolet en sortant de chez son conseiller fiscal. Puis l’ancien ministre Joseph Fontanet se faisait flinguer en plein Paris au calibre 11,43. Cette affaire n’a jamais été élucidée mais Boulin, Broglie et Fontanet avaient été plus ou moins impliqués dans les funestes Accords d’Évian. Citons aussi, juste pour mémoire, la tuerie d’Auriol qui était un règlement de compte entre « barbouzes » du sulfureux SAC (3), ou encore le suicide de René Lucet qui aurait réussi l’exploit de se tirer… DEUX balles de 357 magnum dans la tête ; celui de Pierre Bérégovoy dont le chauffeur-garde-du-corps était parti se promener le long de la Nièvre en oubliant son arme de service dans la voiture de l’ancien Premier ministre ; ou encore celui de François de Grossouvre, l’ami de François Mitterrand, celui qui protégeait Mazarine.
Il y a quelques années, j’ai consacré un article à l’une des affaires les plus crapoteuses de la Ve République, l’assassinat de Ben Barka, car elle est assez édifiante. Résumons-là brièvement :
Le 29 octobre 1965, l’opposant marocain Mehdi Ben Barka est interpellé devant le drugstore Publicis par deux hommes qui présentent des cartes de police. Ils font monter le Marocain dans une voiture banalisée. Ben Barka ne sera plus jamais revu. Le 2 novembre, une instruction est ouverte par le juge Zollinger. Le lendemain, un certain Antoine Lopez se présente à la police et est placé en garde à vue. Lopez est un « honorable correspondant » du SDECE (4). Il entretient aussi des relations suivies avec des dignitaires marocains, dont le général Oufkir. Plusieurs truands parisiens comptent parmi ses amis. Les services qu’il leur rend lui vaudront plus tard d’être qualifié d’« agent triple ». Il était à bord de la 403 banalisée où sont montés Ben Barka et les deux policiers. Un nommé Julien Le Ny était également à bord. Antoine Lopez avoue avoir guidé le véhicule vers une villa de Fontenay-le-Vicomte appartenant à Georges Boucheseiche, pour qui travaillent Julien Le Ny, Jean Palisse et Pierre Dubail. Tous quatre sont des repris de justice, plusieurs fois condamnés. Ils sont aussi des « barbouzes » qui ont œuvré dans la lutte anti-OAS et la chasse aux partisans de l’Algérie Française. Boucheseiche a fait partie de la Gestapo française et a rejoint en 1946 le « Gang des Tractions avant », en compagnie de Pierre Loutrel (dit Pierrot-le-fou) et Jo Attia. Il a fait plusieurs années de prison pour avoir racketté un diamantaire pendant l’occupation. Dans les années 1950, il s’est converti dans les maisons closes, à Paris et au Maroc. Il est réputé « avoir rendu des services au SDECE lors de l’indépendance du Maroc et la guerre d’Algérie ». Ensuite, on découvrira qu’un certain Georges Figon, et son avocat Pierre Lemarchand, ont trempé dans l’enlèvement de Ben Barka. Lemarchand, ancien de la lutte anti-OAS, n’est pas n’importe qui, il est député UNR de l’Yonne et proche du ministre Roger Frey.
Le 10 janvier 1966, « L’Express » publie le témoignage de Georges Figon sous le titre « J’ai vu tuer Ben Barka ». Figon explique que le leader marocain a été séquestré dans la villa de Georges Boucheseiche et que le général Oufkir et le commandant Dlimi lui ont fait subir les pires tortures.
Figon donne les noms des acolytes de Boucheseiche qui ont participé à la séquestration. Le 17 janvier, Georges Figon est localisé par la police dans un studio du XVIIe arrondissement. Il y est retrouvé mort, apparemment suicidé… Un suicide aussi peu crédible que celui de Stavisky. On ne retrouvera jamais le corps de Mehdi Ben Barka. Plusieurs des « barbouzes » et autres protagonistes de cette sale affaire mourront de mort violente.
L’ami, à qui je disais qu’avec des affaires aussi sordides, nous étions mal placés pour donner des leçons, m’a rétorqué « nous ne sommes pas barbares au point de détruire un avion en tuant tous ses passagers ». Qu’on me permette de rappeler quelques histoires pour le moins troubles :
Le 28 novembre 1947, près de Colomb-Béchar, le bombardier B-25, transformé en avion de fonction pour le général Leclerc, s’écrasait vers midi sur la voie ferrée Méditerranée-Niger, à une cinquantaine de kilomètres de l’aéroport de Colomb-Béchar qu’il essayait de rejoindre.
Les 12 passagers et membres d’équipage sont morts sur le coup. Mais un 13e corps non identifié sera retrouvé dans les débris de l’appareil. Les légionnaires (et secouristes) ont commencé l’identification des corps dans l’après-midi du 28. Toutes les victimes ayant été décapitées lors du choc, ce sont les troncs qui ont été identifiés grâce aux uniformes, grades et papiers personnels. Le corps du général Leclerc a été identifié par son portefeuille, sa chevalière armoriée et un morceau de sa canne. Une fois les corps transportés à la morgue de Colomb-Béchar, ce sont 13 corps qui seront formellement dénombrés avant la mise en bière, bien que l’avion n’ait transporté que 12 hommes. On ne saura jamais qui était ce 13e homme. Une chose est certaine, le général Leclerc, dont les ambitions – légitimes – étaient connues, gênait beaucoup de monde.
Autre affaire étrange : le 27 juin 1980, un Douglas DC-9 effectuant un vol entre Bologne et Palerme s’abîme en mer, près de l’île d’Ustica au nord de la Sicile. Il a été abattu par un missile, tuant les 81 personnes à bord. Les causes de l’accident n’ont jamais été clairement élucidées. Mais, depuis 1999, l’enquête du juge Rosario Priore s’oriente vers la thèse d’un tir de missile d’un avion de l’OTAN qui aurait pu être… français. L’ex-président de la République italienne Francesco Cossiga, et Rosario Priore ont évoqué une possible tentative d’assassinat de Kadhafi. Deux mois plus tôt, le président du Tchad, Goukouni Oueddei, avait annoncé à Tripoli la fusion de son pays avec la Libye, ce qui avait suscité la colère de la France. Certes, rien n’est prouvé mais on a le droit de s’interroger.
Le 5 février 1987, Michel Baroin, ancien parton des Renseignements Généraux, ancien Grand Maître du « Grand Orient de France » et président de la « Garantie Mutuelle des Fonctionnaires » (5) meurt dans un accident d’avion à Jakiri, au Cameroun. Son avion s’écrase peu après le décollage de Brazzaville où il venait de rencontrer le président Sassou-Nguesso. Selon la journaliste Dominique Lorentz, il ne s’agirait pas d’un accident mais d’un attentat (6). Victor Chapot, ancien conseiller de Giscard d’Estaing, ne croit pas à l’accident et évoque un possible assassinat politique. Encore une affaire trouble qui ne sera jamais élucidée, comme l’accident d’avion d’Evgueni Prigojine.
Pour finir, bien que la liste ne soit pas limitative, citons le mystérieux crash du jet privé de Christophe de Margerie, le patron de Total, en octobre 2014. On a très vite évoqué la présence d’une déneigeuse sur la piste, dont le chauffeur était saoul, pour rejeter l’hypothèse d’un attentat.
Ce grand patron au parcours hors normes n’avait pas que des amis. Il s’était battu pour signer avec la Russie un énorme contrat d’exploitation de gaz naturel sur la presqu’île de Yamal. Qualifié de « grand ami » par Vladimir Poutine, Christophe de Margerie était encensé par Dmitri Medvedev. Ce dernier l’avait reçu quelques heures avant sa mort, et il avait particulièrement apprécié le plaidoyer du patron de Total contre les sanctions européennes suite à l’annexion de la Crimée. Margerie était une personnalité forte. Il n’avait pas peur de dire la vérité, même s’il savait que ça ne plaisait pas à tout le monde, en France, en Europe ou aux États-Unis. Mais puisqu’on nous dit que sa mort serait due à un accident, il nous serait malvenu d’en douter sous peine d’être taxés de complotisme.
Ne nous voilons pas la face, nous vivons depuis longtemps en « démocassure », une dictature instillée comme une drogue douce, qui se donne des airs de démocratie.
En fait, Poutine aurait dû faire arrêter Prigojine. Après un simulacre de procès « stalinien », il aurait été fusillé comme traître. Je suppose que, comme au bon vieux temps de l’Union soviétique, nos intellectuels auraient nié les faits comme ils l’ont fait jadis pour les purges et les crimes du « petit père des peuples » Joseph Staline, pour « ne pas affoler Billancourt ». Mais il n’y a plus de prolos qui votent pour le PC à Billancourt ; Édouard Philippe va se prostituer à la « Fête de l’Huma » au côté du Syndicat de la magistrature rouge. Les temps changent ? Que nenni, les apparences seulement !
Alors, de grâce, messieurs les maîtres-censeurs, avant de donner des leçons de démocratie et d’humanisme à des pays certes barbares, balayez d’abord devant votre porte !
Éric de Verdelhan
1)- Ne nous leurrons pas, la Ve République est également celle des Francs-maçons.
2)- Qui était Franc-maçon, mais ceci n’a sans doute rien à voir avec son « suicide ».
3)- SAC : Service d’Action Civique dont certains membres se sont illustrés dans la lutte contre l’OAS.
4)- SDECE : Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage, l’ancêtre de la DGSE.
5)- Connue pour être à l’époque une pépinière de Francs-Maçons.
6)- Il évoque un attentat commis par l’Iran, motivé par le contentieux Eurodif.
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Ce que m'inspire la mort d'Evgueni Prigojine
(Sosthène de La Rochefoucauld-Doudeauville ; " Le livre des pensées " (1861)) Le 24 août dernier, la presse nous annonçait la mort " accidentelle " d'Evgueni Prigojine, le patron du groupe Wagn...
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