La guerre en Ukraine a de plus en plus à voir avec la guerre du Vietnam. Il y a même fort à parier que l’aventure se termine de la même manière pour les États-Unis. Mais, le plus étrange, c’est que l’Amérique sait ce qu’il en est de ces guerres déclarées dans la confusion, conduites dans le désordre, et terminées dans le déshonneur. En effet, Les Pentagon Papers sont un rapport fondé sur les travaux du groupe proche de Robert McNamara, secrétaire à la Défense, dont l’objectif était d’éviter de nouvelles erreurs de décision dans les administrations futures. Leur publication ont démontré que l’administration du Président Johnson avait systématiquement menti au public, et plus grave, au Congrès.
Nous faisons donc référence à : The Pentagon Paper publiés par le New York Times en 1971, relayé en France par un article du journal Le Monde en date du 25 juin 1971 – Le rapport McNamara sur le Vietnam est publié par plusieurs journaux des États-Unis. Le rapport McNamara sur le Vietnam est publié par plusieurs journaux des États-Unis (lemonde.fr) dont une publication fut ensuite réalisée par Albin Michel : Le Dossier du Pentagone la même année.
Il semble bien que malgré cet enseignement magistral, les USA reproduisent sous nos yeux la même erreur dramatique. Pourquoi ?
Une guerre construite sur des fantasmes et de la propagande
La guerre du Vietnam a été motivée par une série d’arguments fallacieux, largement fabriqués pour la circonstance. Les manipulateurs se sont pris au jeu de leurs mensonges. Le piège s’est refermé sur eux, parce qu’il fallait les accréditer ensuite par des décisions toujours plus absurdes. En effet, et sans rentrer dans le détail, les USA fantasment (complotistes déjà) une alliance entre Soviets et Chinois alors que les relations réelles entre les staliniens et les maoïstes ne sont pas de cet ordre-là. Le bloc sino-soviétique est bien plus une fiction qu’une réalité. Les USA fantasment aussi une situation du Nord Vietnam en lui prêtant des intentions et des réactions sur la base de jugements ou d’a priori fantaisistes. Il s’agit de la doctrine selon laquelle les mouvements révolutionnaires du Sud dépendaient du Nord, alors qu’ils étaient déjà largement autochtones, considérant à tort qu’il suffisait de couper les révolutionnaires de leur soutien du Nord. Etc. Il ressort de l’étude des Pentagon Paper que les services américains savaient ce qu’il en était. Dès 1961, ils indiquent que les effectifs Vietcong sont des locaux, que les relations entre Soviets et Chinois sont très loin d’une alliance, etc. Or, pour motiver la guerre, il fallait fabriquer un récit, raconter une histoire, y faire croire et y croire. Dès 1967, John Theodore McNaughton, secrétaire adjoint à la Défense pour les affaires de sécurité internationale, conseiller de McNamara, écrit :
” Beaucoup estiment que nous tentons d’imposer par la force une certaine image de l’Amérique à des peuples lointains que nous ne comprenons pas… et que cette tentative est poussée jusqu’à l’absurde.” (1967)
Le récit fabriqué pour motiver la guerre du Vietnam fait bien penser à celui inventé pour créer les conditions d’un soutien inconditionnel à l’Ukraine, après avoir fabriqué ce narratif dont les auteurs savent bien évidemment qu’il est faux, sans rapport avec les faits et réalités de terrain.
Un entêtement du menteur pris dans ses manipulations
Tout est fondé sur la dissimulation du réel, un récit qui doit monopoliser l’attention et dont les contradicteurs doivent être sévèrement combattus. Très vite, les décisions prises le sont uniquement pour entretenir la fiction bien que le réel ne soit pas conforme aux histoires que relaient les médias. Le même phénomène s’observe aujourd’hui, entre les réalités tragiques du terrain et le fait de la censure des informations clés sur les morts et la guerre. Le plus fascinant tient à la constance des procédés. En effet, le Vietnam est décrit comme un “petit pays arriéré” alors qu’il s’agit d’une vieille civilisation bimillénaire dont les populations sont beaucoup plus évoluées que le récit ne le dit. De même des moyens de leur résistance et leur capacité au combat. En le relisant, on croit lire les médias actuels sur les Russes sous-développés, ce peuple brutal pour ne pas dire idiot et son armée vieillotte, etc. Même rhétorique, mêmes mensonges, mêmes manipulations.
Mais le menteur ne peut plus décider que pour accréditer ses dires. C’est Hannah Arendt qui décrit magistralement le piège du menteur dans un essai : Du mensonge en politique – Réflexions sur les documents du Pentagone où elle écrit :
” Les trompeurs ont commencé par s’illusionner eux-mêmes… assurés de la valeur de leurs postulats psychologiques quant aux possibilités illimités de manipuler l’opinion.” (p.52-53)
Or, la guerre du Vietnam a été une succession de décisions effrayantes conduisant à des crimes contre les populations et un massacre des jeunes Américains. De 1965 à 1973, on estime à 56 000 soldats américains tués, plus de 300 000 blessés et le traumatisme psychologique d’une génération avec plus de 3 millions d’Américains impliqués dans la guerre, sans parler des 75 millions de litres d’herbicide et défoliant aux impacts ravageurs sur les populations locales. Cette guerre pour rien sera la première défaite historique des Américains. D’où la question du comment ont-ils pu ?
Ils ne pouvaient pas reculer au regard de ce récit et du prestige de l’image de l’Amérique qui semblait s’engager dans cette aventure hasardeuse. La classe politique s’était auto-suggestionnée des convictions sur le rôle de l’Amérique et son devoir d’ingérence dans une guerre civile. Il fallait entretenir le mythe de la grande puissance mondiale, asseoir sa domination, créer une image et triompher sans gloire face à un très faible adversaire (?) Comme le conclut Arendt, l’histoire est un peu pathétique pour la grande puissance :
” Le résultat fut qu’un ennemi pauvre, trompé et cruellement frappé, ne cessa de se renforcer, tandis qu’avec le temps, le “pays le plus puissant du monde” ne cessait de s’affaiblir.” (p.63)
Et une raison à la manipulation, l’enrichissement et la corruption
Comment les élites américaines peuvent-elles reproduire le même scénario en Ukraine ? On fabrique un récit, on s’y enferme, on est piégé par ses mensonges et obligé d’armer, de réarmer, de surarmer l’Ukraine alors que le récit et la promesse était de ruiner la Russie par des sanctions économiques et de faire triompher la démocratie contre Poutine, bref de liquider l’adversaire en quelques mois. Les mêmes chimères furent avancées du fait de la supériorité militaire pour triompher des rebelles vietcongs et des communistes du Nord Vietnam.
Le double langage de l’administration américaine est un fait. Elle sait et est bien informée, mais elle fabrique sans cesse un récit pour justifier des décisions et motiver une politique dont tous savent qu’elle est promise à l’échec. Pourtant, cela se fait, se refait et se réitère encore en Ukraine.
Il y a derrière cela un dysfonctionnement majeur de la société américaine. Des conglomérats puissants ont aujourd’hui comme hier suffisamment de pouvoir pour défendre leurs intérêts, promouvoir des actions qui les enrichissent, même contre les intérêts des États-Unis. L’Amérique est en fait victime de ces fabrications de récits totalement erronés. Mais ils sont fabriqués par des agences qui travaillent pour le compte d’entreprises qui calculent leur enrichissement. Nous assistons au règne d’une oligarchie ploutocratique dont la richesse passe par la guerre, la peur, les crises, les menaces. La guerre en Ukraine sera un nouveau fiasco, comme celle envisagée au Niger. L’image de l’Amérique en devient délétère dans de plus en plus de pays. Les bilans sont catastrophiques, comme lors de la guerre en Irak. À cela, une explication très rationnelle, même si elle condamne l’Amérique à terme. L’oligarchie ploutocratique s’incarne par exemple dans le cas de Dick Cheney, d’abord secrétaire à la Défense de Bush de 1989 à 1993, puis vice-président de 2001 à 2009, mais aussi président d’Halliburton, société pétrolière, et surtout fournisseur de l’armée américaine. Elle passa étrangement du 19e rang au premier rang dans les années 2000, par des contrats “monstrueux” dans des conditions…
Pour terminer, il existe un point commun à toutes les folies américaines ; c’est l’enrichissement des monstres capitalistes en position de commander les politiques. Les industries militaires, pharmaceutiques, informatiques exercent aujourd’hui une influence délétère pour s’enrichir à court terme et détourner massivement l’argent public, aux USA et dans le monde ; comme le dénoncent les sénateurs australiens à propos des injections de Pfizer et Moderna. Quand l’intérêt explique des folies perceptibles par le plus grand nombre, c’est que ce ne sont pas des folies, mais le résultat de l’intérêt. C’est le pouvoir capitaliste dévoyé, illimité, sans aucun contre-pouvoir politique ou spirituel véritable. Cela pose la double question de l’incarnation du bien commun et de la limitation catégorique de cette puissance qui contredit l’intérêt des États et des peuples. Il est fort étrange que les lois anti-trust n’aient plus aucune réalité, aux USA et en Europe, car ces entreprises nuisent à la démocratie et à nos libertés jusqu’à tuer et organiser les guerres.
L’Ukraine sera le nouveau Vietnam, mais la prochaine Ukraine est à prévoir, tragédie d’un Occident failli, corrompu et incapable, à ce jour, de se réformer fermement.
Pierre-Antoine Pontoizeau
Ukraine, le nouveau Vietnam de l'Amérique ?
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