Le Blog de Lazare

À la question de savoir ce qui explique que depuis le 9 août 1945, aucun ballet de missiles nucléaires mégatonniques n’ait sillonné la stratosphère d’un sens l’autre avant de s’abattre sur des mégapoles pour les transformer en lumière et chaleur, la réponse « de bon sens » est de dire : « cela prouve que la dissuasion a marché ». A quoi on entend généralement rajouter une affirmation tout aussi frappée du coin du « bon sens » : « et elle continuera à marcher ». Avec la prolifération de l’arme nucléaire, cette réponse est malheureusement de plus en plus irénique…

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Robert McNamara, ancien secrétaire à la Défense des présidents Kennedy et Johnson, aimait déjà à répéter : « Nous avons eu du pot. C’est la chance, juste la chance, qui a fait que nous n’avons pas eu de guerre nucléaire. Des dizaines de fois durant la Guerre froide et depuis, nous sommes passés à un cheveu du déclenchement de l’horreur. »

Samedi 27 octobre 1962, en pleine crise des missiles de Cuba :

Un avion-espion américain U2 venait d’être abattu au-dessus de Cuba et un second U2 avait disparu dans l’espace aérien soviétique. Dans cette atmosphère tendue à l’extrême, un sous-marin soviétique B-59 qui croisait dans la mer des Sargasses au nord-est de Cuba, fut repéré et encerclé par le porte-avions américain géant USS Randolph accompagné de quelques destroyers. Le sous-marin était commandé par le lieutenant de vaisseau Savitsky flanqué de l’officier politique Maslennikov. Les navires américains avaient commencé à envoyer le signal convenu avec l’État-major soviétique pour intimer l’ordre au sous-marin ennemi de remonter à la surface :  ils avaient fait exploser près de la coque du submersible des grenades sous-marines. Premier grain de sable : Savitsky n’avait pas été informé de cette convention. Il crut donc qu’il était véritablement attaqué par les navires Américains. À bord, les circonstances étaient proprement infernales. La température avait atteint les 50 à 60 degrés Celsius et les hommes tombaient les uns après les autres. Deuxième grain de sable : les communications entre le sous-marin et l’État-major soviétique à Moscou avaient été coupées. Savitsky ne savait même pas si la guerre avait commencé ou non. Épuisé, à bout de nerfs, il était sur le point de donner l’ordre de lancer quelques torpilles sur lesquelles étaient montées des ogives nucléaires. Troisième grain de sable : les Américains ignoraient que les sous-marins soviétiques qui croisaient au large de Cuba étaient dotés de bombes atomiques. S’ils l’avaient su, ils auraient procédé à la destruction immédiate du B-59 sans lui laisser la possibilité de répliquer par une salve de missiles nucléaires qui auraient coulé le USS Randolf et provoquer une riposte nucléaire fulgurante des Etats-Unis. Savitsky se souvint qu’il lui fallait consulter son officier politique pour prendre une décision aussi fatale. Celui-ci lui accorda l’autorisation de lancer les torpilles nucléaires… On n’était plus qu’à deux doigts de l’apocalypse

Mais le hasard (ou la Providence ?…) voulut que ce jour-là se trouvait à bord le capitaine Vasili Alexandrovitch Arkhipov, le chef d’État-major de toute la flottille de sous-marins soviétiques croisant en mer des Sargasses. Savitsky crut de son devoir de recueillir l’avis d’Arkhipov. Celui-ci exprima son désaccord, au motif que Moscou n’avait pas donné son autorisation. L’ordre de tir ne fut pas donné et le sous-marin remonta à la surface pour se constituer prisonnier de la flottille américaine… L’histoire retiendra que la décision de ne pas lancer la troisième guerre mondiale n’a pas été prise au Kremlin ni à la Maison-Blanche, mais dans l’atmosphère étouffante de la salle de commande d’un sous-marin.

Outre le conflit russo-ukrainien, outre également le programme nucléaire de l’Iran, une menace directe sur Israël, puissance nucléaire, la volonté du fantasque régime de la Corée du nord de se doter d’une force nucléaire crédible laisse craindre le pire.

Lors de la conférence conjointe donnée ce mercredi à la roseraie de la Maison-Blanche, point d’orgue du sommet bilatéral avec son homologue Joe Biden, le président sud-coréen Yoon Suk-yeol a promis « des mesures rapides, écrasantes et décisives, incluant le nucléaire américain en cas d’attaque nucléaire par le Nord », précisant : « face aux menaces balistiques et nucléaires nord-coréennes, nous avons décidé de renforcer la dissuasion étendue entre les deux pays d’une manière complète afin de maintenir la paix par la supériorité d’une force écrasante, et non pas une fausse paix qui s’appuierait sur la bonne volonté de l’autre. »

«Les deux pays se sont mis d’accord pour créer un groupe consultatif nucléaire (NCG) afin d’opérer concrètement un nouveau système de dissuasion étendue» a affirmé le président Yoon, précisant : «nous allons renforcer les exercices de simulation afin de répondre à la crise nucléaire, tandis que les moyens stratégiques américains seront déployés plus régulièrement et continuellement sur la péninsule coréenne.»

Le président Yoon a par ailleurs déclaré que les Etats-Unis et la Corée du Sud renforcent leur coopération avec le Japon.

Joe Biden a pour sa part averti que les Etats-Unis ne toléreront jamais que la Corée du Nord lance une attaque nucléaire contre eux et leurs alliés, et qu’une telle situation signifierait «la fin du régime nord-coréen».

Ce sommet américano-sud coréen faisait suite au tir réussi vendredi dernier du nouveau missile balistique intercontinental (ICBM) de Pyongyang, à combustible solide, une avancée majeure pour le programme d’armement nord-coréen…

Qui peut croire que l’anéantissement de la Corée du nord laisserait de marbre la Chine et la Russie ?

Autre question ouverte : les réactions des Etats-Unis à la future annexion de Taïwan par la Chine continentale.

Autant de points de friction entre puissances nucléaires qui rendent probable le « grain de sable » fatal…

Henri Dubost

In girum imus nocte ecce et consumimur igni