La guerre sur le champ de bataille est toujours la première à laquelle nous pensons. Mais il en existe deux autres. D’abord, la guerre économique, parce que la première nécessite des richesses, de l’industrie de l’armement et une capacité à ne pas faire souffrir ses populations qui sont les bases arrières de la première. Ensuite, la guerre diplomatique avec les relais des médias et des techniques de communication, celle-là préparant le terrain d’une résolution de la guerre par la négociation à son avantage.
Le champ de bataille livre doucement son vainqueur
En un an, 20 % du territoire Ukrainien a été pris par l’armée russe. Aucun signe ne laisse supposer un recul de l’infanterie et de l’artillerie russes. Plus nombreux, plus équipés, soutenus par des bases arrières solides, la Russie semble prendre l’avantage. Sur ces dernières semaines, partout sur le front, la pression s’est inversée en faveur des Russes. Si les informations sont fiables, l’accumulation d’armes et de soldats annonce une progression pour la conquête sans doute définitive des Oblasts visés depuis le début par le Kremlin.
À l’inverse, les Occidentaux semblent épuisés par cette guerre et les signes paraissent évidents. L’OTAN confirme l’incapacité de suivre le niveau de production exigé par les besoins du champ de bataille. D’anciennes puissances peinent à offrir quelques unités de chars très anciens. Le niveau de soutien semble graduellement baisser.
Les moyens nécessaires à l’inversion de la situation consisteraient à mobiliser plusieurs centaines de milliers de soldats et à aligner du matériel dont la totalité des armées européennes ne semble pas disposer, sauf à s’engager à 100 % dans l’affaire ukrainienne.
Quelques actions sporadiques peuvent faire traîner l’affaire. Mais la première guerre n’est pas gagnée par l’Occident. La situation générale de l’Ukraine augure plutôt du constat que la paix se fera sur les frontières établies sur le champ de bataille. Première défaite.
La guerre économique ruine l’Occident
C’est sans doute le véritable échec des Occidentaux qui pensaient mettre à genou la Russie en la sortant du système de règlement international SWIFT et en prenant une série de sanctions dures et normalement fatales. Cette guerre économique est déjà perdue. La Russie a largement survécu à ce qui devait la ruiner rapidement. Elle a même tissé des liens économiques plus forts avec des puissances alliées (Chine, Inde, Iran) pour les plus importantes.
Mais l’Occident n’avait pas mesuré l’effet boomerang de ces mesures sur ses économies. Les conséquences sont déjà visibles avec une inflation ruineuse et des entreprises en faillite, incapables d’assumer la volatilité des prix, dont ceux de l’énergie. Les économies Occidentales se sont prises au piège, puisque les sanctions ont aussi amené des sacrifices invraisemblables en dizaine de milliards pour des groupes présents en Russie, et qui ne pourront pas y revenir dans la décennie à venir, a minima. Cette défaite dans la guerre économique n’était certainement pas prévue au programme. Elle ne pourra pas durer très longtemps, car elle expose les économies, donc les politiques des nations Occidentales à quelques désagréments imprévus : crises sectorielles, crises sociales, crises politiques comme en Angleterre déjà. Seconde défaite.
La guerre diplomatique est en train de se perdre
La troisième guerre, nous en étions les experts depuis longtemps. Mais cette fois, c’est aussi perdu. L’Occident confond l’opinion de ces populations et sa capacité à influer l’opinion à travers le monde. Sans doute, là aussi, a-t-on totalement sous-estimé le ressentiment des autres nations, depuis l’Irak, la Syrie, la Libye, l’Afghanistan. Mais ni l’Afrique, ni l’Amérique du Sud et encore moins l’Asie ne suivent la propagande Occidentale. Le disque semble usé, les arguments sans valeur et la propagande pour dire que nous sommes les bonnes démocraties sympathiques se battant contre le méchant tyran n’abuse plus personne. Les USA ont sans doute définitivement ruiné la foi en leur autorité d’être les agents du droit des gens et des peuples, soit le droit international; car ils ont abusé de leur position à leur seul avantage, en impérialiste forcené, en cupide prédateur, abusant de la force en toute circonstance. L’Occident est sans doute frappé d’une profonde schizophrénie ne voyant pas que la parole nécessite un peu d’ajustement des actions qui la suivent. Cette guerre nous sera sans doute fatale dans les mois à venir, car la plus grande partie des nations adhère au discours de Poutine sur les valeurs de fonds. Elles adhèrent aussi à ce multilatéralisme annoncé pour que chacun prenne sa place. Elles adhèrent au désir de ne plus dépendre d’un seul bailleur de fond autoritaire et agressif.
Trois guerres, trois défaites. Cela fait beaucoup et témoigne d’une perte d’intelligence, d’une perte de lucidité, d’une désagrégation des élites Occidentales progressistes, campées sur des postures affreusement conservatrices : néo-coloniales, condescendantes, sans comprendre que 8 milliards d’humains, des pays en pleine mutation à travers le monde, des jeunesses du millénaire assoiffées de leur liberté ne se soumettront pas aux vieilles puissances impériales.
Soit nous le comprenons et changeons radicalement dans nos relations au reste du monde, soit nous persévérons dans ce progressisme-conservateur paradoxal, et la guerre en Ukraine peut rapidement sonner comme l’échec ruineux d’une Amérique en perdition. Je parie même pour que la Chine puisse devenir le principal bailleur de fond d’une Ukraine à reconstruire, car c’est le peuple ukrainien que nous avons détruit, humilié, sacrifié en pure perte. Il n’est pas sûr que les prochaines élections présidentielles en Ukraine ne surprenne pas l’Occident. Le couple sino-russe a quelques arguments à faire valoir.
Pierre-Antoine Pontoizeau
Les trois guerres de l'Occident en Ukraine sont perdues
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