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25 septembre 2021 6 25 /09 /septembre /2021 17:36
La vérité sur la commande de sous-marins français annulée par l’Australie, que les médias « oublient » de vous dire

Vous avez sans doute entendu parler de « l’affaire du siècle » annulée, du « coup dans le dos » que Le Drian dit avoir reçu de son allié australien qui aurait soudainement annulé sa commande de 12 sous-marins français au diesel. Voici les faits, rien que les faits – sans parti pris ni propagande médiatique – que vous ne lirez que sur Dreuz.

Mercredi 15 septembre, l’Australie a rompu le gigantesque contrat conclu en avril 2016 avec la France pour la fourniture de 12 sous-marins conventionnels au diesel, Canberra ayant décidé (1) que des sous-marins à propulsion nucléaire correspondaient mieux à l’évolution de la tension géopolitique avec la Chine, et a signé un accord tripartite avec le Royaume-Uni (qui décidément profite très très bien de sa sortie de l’UE), et les Etats-Unis, baptisé AUKUS.

Sa décision a irrité la France, qui a rappelé ses ambassadeurs, et déclenché une importante brouille diplomatique.

Les médias ont fait du lèche-bottes au Quai d’Orsay et ont accusé Joe Biden d’être responsable de la perte de ce fabuleux contrat. Ne croyez rien de ce que vous entendez et lisez dans les médias. Désormais, ils mentent même sur la météo. Je suis la dernière personne qui défendra Joe Biden, cet homme a tous les vices, c’est un épouvantable président pour les Américains. Sauf que jusqu’à preuve du contraire, il est dans cette affaire, accusé à tort.

Le contrat du siècle

En 2016, le français Naval Group (qui s’appelait DCNS) a remporté un contrat de 50 milliards d’euros pour la construction de 12 sous-marins de classe Barracuda au cours des 50 prochaines années, à l’issue d’une compétition très serrée avec l’allemand TKMS (ThyssenKrupp Marine Systems) et le consortium japonais Mitsubishi/Kawasaki.

En sélectionnant l’offre française, le gouvernement australien avait déclaré qu’elle répondait à tous les paramètres du processus d’acquisition qui permettrait à la marine australienne de dominer les eaux contestées du continent.

En août 2016, la société DCNS, ex-Naval Group, détenue à 62 % par l’Etat français a été piratée (5). 22 400 documents relatifs à la capacité de combat des 6 sous-marins Scorpène destiné à l’Inde, et déjà en service au Chili et en Malaisie, et en cours de construction en Inde, ont été hackés, ce qui a rendu extrêmement nerveuse l’Australie, et a suscité des inquiétudes quant à la sécurité de leur propre projet. N’oublions pas que les sous-marins ne sont pas destinés à faire des promenades en mer, mais à décourager les vues impérialistes de la Chine.

Le 26 août, le ministre de l’Industrie de la Défense, Christopher Pyne, ordonnait qu’un avertissement soit donné à DCNS. Le ministère australien de la Défense a alors réclamé du constructeur de sous-marins (6) une cyber-protection de meilleur niveau pour son projet, égale à celle qui lui était fournie par les Etats-Unis. Les données volées, expliquèrent les dirigeants de DCNS, avaient peut-être été emportées hors de France en 2011 par un ancien officier de la Marine française qui, à l’époque, était un sous-traitant de la DCNS.

A ce moment, l’opposition réclama que les rapports avec la compagnie française soient suspendus. L’affaire commençait sous de mauvais augures.

2 Explosion des prix. Canberra a été initialement particulièrement séduit par l’offre française en raison de sa capacité à transformer les Barracudas du diesel à l’énergie nucléaire – une technologie considérée comme un poison politique à l’époque si proche de la catastrophe de Fukushima au Japon, mais qui, selon le gouvernement australien, deviendrait plus acceptable avec le temps.

Sauf que le projet, qui était censé coûter 31 milliards d’euros, était en train d’exploser. Aux dernières nouvelles, les Barracudas allaient coûter presque le double, soit environ 56 milliards d’euros. Et ce, avant que le gouvernement ne prenne en compte le coût de la maintenance. En novembre 2019, le ministère de la Défense a déclaré à une commission du Sénat que Canberra devrait débourser 90,1 milliards d’euros supplémentaires pendant la durée de vie des sous-marins.

Et ce n’était pas tout….

3

Le principal point d’achoppement de l’accord voué à l’échec a peut-être été le différend sur la participation de l’industrie locale. Lorsqu’il a annoncé l’accord en 2016, le Premier ministre de l’époque, Malcolm Turnbull, a souligné que les Barracudas seraient construits en Australie, avec 90 % d’apports locaux, et qu’ils soutiendraient 2 800 emplois locaux (8).

  • En 2020, Naval Group avait revu à la baisse le chiffre de 90 % d’apports locaux pour le ramener à 60 %.
  • A Noël de l’année 2020, Naval Group traînait encore les pieds, et n’avait pas respecté le délai que le Commonwealth lui avait imposé pour inscrire dans l’accord de partenariat, l’engagement de la société française à dépenser au moins 60 % du contrat du projet avec des fournisseurs australiens.

    Le réseau australien de l’Industrie et de la Défense, qui représente les petites et moyennes entreprises de défense locales, a alors déclaré qu’il était « profondément préoccupant » que près de 12 mois après que Naval Group ait donné son engagement que 60 % des contrats seraient donnés à des entreprises locales, l’accord n’ait toujours pas été signé.
  • En 2021, l’entreprise française s’opposait carrément à ce chiffre, affirmant que l’industrie australienne « n’était pas à la hauteur ».

4 Retards et délais. Alors que l’Australie souhaitait recevoir les sous-marins à temps pour remplacer sa flotte de sous-marins vieillissants de la classe Collins, dont la mise hors service était prévue pour 2026, des rapports ont indiqué qu’elle n’aurait reçu son premier Barracuda qu’en 2035 ou plus, et que la construction s’étendrait jusque dans les années 2050.

Ces retards ont affecté le projet de sous-marin, le ministère australien de la Défense et Naval Group ayant dû repousser plusieurs étapes importantes du contrat.

5 En 2018, le gouvernement australien était tellement en colère en raison de différends sur les garanties et le transfert de technologie, que le ministre de la Défense de l’époque, Christopher Pyne, a refusé de rencontrer le ministre français des Armées, Florence Parly, et les dirigeants de Naval Group lors de leur visite en Australie (7).

En 2016, l’adoption de l’option nucléaire pour sa future flotte de sous-marins affrontait de nombreux aspects du tabou nucléaire australien.

  • Les partis travailliste et libéral devraient se mettre d’accord. La crainte était qu’il ne serait pas possible de construire un consensus bipartisan pour la propulsion nucléaire de manière à éviter qu’un côté de la politique rejette l’idée, laissant l’autre côté avec un passif politique à gérer.
  • Il faudrait persuader la population. Mais l’ambivalence politique est alimentée par les préoccupations populaires. En Australie, les opinions pour et contre l’énergie nucléaire sous toutes ses formes sont très partagées. La commission parlementaire a reconnu que « la volonté du peuple devrait être honorée en exigeant un large consentement de la communauté avant la construction de toute installation nucléaire ».
  • En demi-teinte, pointait la question de la construction de l’industrie nucléaire.
  • Et l’Australie aurait de solides explications à donner à ses voisins, en particulier à l’Indonésie et la Nouvelle-Zélande.

Tout cela ne pouvait se faire que si l’environnement stratégique devenait plus sombre. Et c’est ce qu’il s’est produit, avec le renforcement des signes agressifs de la Chine en mer de Chine méridionale et autour des sanctions chinoises contre l’Australie, pour la punir d’avoir eu le courage, et seule, d’exiger des enquêtes pour déterminer la culpabilité de Pékin dans la pandémie.

Le sous-marin « Xi Jinping »

La décision de s’équiper en sous-marins nucléaires, ce qui par rapport aux sous-marins diesel permet d’échapper totalement aux radars ennemis, puisqu’ils n’ont pas besoin de remonter à la surface pour recharger les batteries et vidanger, et que leur vitesse est bien plus élevée, est une réponse à la prise de contrôle de la mer de Chine méridionale par la Chine, à son intimidation agressive de l’Australie du Japon et de Taïwan, et des punitions douanières de Pékin suite aux plaintes de l’Australie sur l’origine chinoise du coronavirus, a déclaré Peter Jennings, directeur exécutif du groupe de réflexion Australian Strategic Policy Institute.

Nous devrions appeler le premier sous-marin [nucléaire] de cette nouvelle catégorie le « Xi Jinping », parce que personne n’est plus responsable de la décision de l’Australie de s’engager dans cette voie que le leader actuel du Parti communiste chinois », a déclaré M. Jennings.

La Chine communiste, encore et toujours

D’un point de vue géostratégique, la décision de Canberra semble être la bonne, puisque Pékin a immédiatement réagi et est furieux de cette nouvelle alliance et de cette avancée militaire.

Les sous-marins nucléaires renforceront – au moins progressivement – la dissuasion contre la Chine.

Les stratèges et les dirigeants chinois devront réévaluer leurs risques et seront sans doute moins enclins à décider de franchir le seuil de la guerre. L’espoir est que cette dissuasion supplémentaire rende les enjeux plus élevés pour les Chinois, les perspectives de succès plus faibles, et qu’ils renoncent à mener leurs avancées impérialistes.

Indemnités de rupture de contrat ?

Le Drian a indiqué que Paris allait se battre contre cette décision.

« Ce n’est pas fini », a-t-il déclaré. « Nous avons des contrats. Il va falloir que les Australiens nous disent comment ils s’en sortent. Nous allons avoir besoin [d’une] explication. Nous avons un accord intergouvernemental que nous avons signé en grande pompe en 2019, avec des engagements précis, avec des clauses ; comment s’en sortent-ils ? »

Le Drian connaît (ou devrait connaître) la réponse à ses questions. Cela a été prévu au contrat.

  • En 2017, le gouvernement australien a révélé les termes de l’un de ses contrats avec Naval Group (9), selon lesquels Canberra ou l’entreprise française pouvaient résilier unilatéralement « lorsque la capacité d’une partie à mettre en œuvre l’accord est « fondamentalement affectée par des événements, des circonstances ou des questions exceptionnels. »

La question sera de savoir si les retards, les dépassements de coûts et les promesses non tenues constituent des « événements exceptionnels ». Cela pourrait se décider devant les tribunaux.

  • Canberra a décidé de se retirer, et le contrat stipule que :

« les parties se consulteront pour déterminer si un terrain d’entente peut être trouvé pour permettre la poursuite de l’accord. Si aucun terrain d’entente n’est trouvé dans les 12 mois, la résiliation prendra effet 24 mois après la réception de l’avis initial de résiliation ».

Ce timing semble correspondre à l’annonce de l’alliance AUKUS : Les dirigeants ont déclaré qu’ils travailleraient au cours des 18 prochains mois pour déterminer la meilleure façon de fournir la technologie pour les nouveaux sous-marins nucléaires de l’Australie, que les États-Unis ont traditionnellement partagée uniquement avec le Royaume-Uni.

Le reste, banal, se trouve dans votre presse quotidienne.

Conclusion

Je vous mentirais si je vous disais que je ne retire pas une certaine satisfaction du camouflet que vient de se prendre la diplomatie française. A ma connaissance, la France a le ministère des Affaires étrangères le plus hostile à Israël de tous les pays occidentaux, et sa politique pro-arabe reste largement en travers de la gorge des patriotes.

Avec sa crise de nerfs et le tam-tam diplomatique qu’il a déclenché, le Quai d’Orsay a montré en un seul acte effronté, la faillite de sa politique étrangère, son inutilité nationale et l’obsolescence plus générale de l’OTAN.

Vendredi, Paris a rappelé ses ambassadeurs des États-Unis et de l’Australie. Ce geste impertinent a mis à nu ce qu’est réellement la politique étrangère de la France : le corporatisme, les gros sous.

  • Suite à l’écrasement récent de la liberté à Hong Kong, la France a-t-elle rappelé son ambassadeur ? Non.
  • Et l’agression de la Chine en mer de Chine méridionale, et dans le cyberespace, ont-ils incité la France à rappeler son ambassadeur ? Non.
  • L’invasion de l’est de l’Ukraine par la Russie a-t-elle incité la France à retirer son ambassadeur de Moscou ? Non.
  • La récente attaque de 4000 roquettes et missiles du Hamas contre des civils israéliens a-t-elle amené la France à retirer sa diplomatie de Gaza ? Non !
  • Qu’en est-il de la dernière répression brutale de l’Iran, ou de Cuba, contre des manifestants pacifiques ? Paris s’est-il énervé et a-t-il rappelé ses principaux diplomates du pays ? Bien sûr que non.

Les actions autoritaires qui rendent le monde plus dangereux pour le monde libre suscitent au mieux un bâillement détaché et indifférent de la part des diplomates français. Mais si vous touchez aux contrats des entreprises de défense français, gare à vous !

La réaction hystérique de Paris ne se contente pas de montrer que le gouvernement français ne se soucie de pas grand-chose d’autre que ses entreprises. Elle révèle surtout que la France, membre fondateur de l’OTAN, est prête à compromettre les relations diplomatiques avec deux alliés démocratiques importants parce qu’elle a perdu du gros pognon.

En ce sens, les amis d’Israël doivent remercier la France pour son geste grossier et puéril, qui révèle ce qui compte vraiment pour sa diplomatie, la prochaine fois qu’elle montera sur ses grands chevaux pour critiquer la « riposte disproportionnée » d’Israël, parce qu’en matière de riposte disproportionnée, rappeler ses ambassadeurs pour un contrat annulé, d’autant qu’on est responsable de l’avoir torché, me semble carrément disproportionné.

Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Jean-Patrick Grumberg pour Dreuz.info.

 

  1. https://www.pm.gov.au/media/joint-leaders-statement-aukus
  2. https://www.theaustralian.com.au/breaking-news/defence-department-considering-a-plan-b-to-french-subs-senate-estimates-told/news-story/778969b5d3f1c5498e62bf0c3d6291d3
  3. https://www.afr.com/politics/federal/shot-across-the-bows-on-submarine-contract-20210117-p56uo9
  4. https://www.afr.com/politics/federal/new-pressures-emerge-in-french-submarine-fight-20210513-p57rid
  5. https://marine-oceans.com/actualites/fuite-massive-de-donnees-de-la-dcns-sur-le-sous-marin-scorpene-la-france-enquete/
  6. https://www.abc.net.au/news/2016-08-26/defence-urges-submarine-designs-be-kept-safe-after-india-leak/7787394
  7. https://www.abc.net.au/news/2018-09-28/future-submarine-project-deadlocked-french-shipbuilder-digs-in/10311294
  8. https://www.malcolmturnbull.com.au/media/future-submarine-program
  9. https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/Joint/Treaties/FutureSubmarine-France/Report_169/section?id=committees%2freportjnt%2f024052%2f24456#footnote6target
  10. https://www.dreuz.info/2021/09/la-verite-sur-la-commande-de-sous-marins-francais-annulee-par-laustralie-que-les-medias-oublient-de-vous-dire-252085.html

Lazare ; C'est la mondialisation heureuse !

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