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3 juillet 2025 4 03 /07 /juillet /2025 00:14
Pourquoi la Russie est européenne ! (1)

« J’ai deux patries, l’Europe et la Russie. Nous ne pouvons absolument pas renier l’Europe. L’Europe nous est une seconde patrie, et je suis le premier à le confesser passionnément et l’ai toujours confessé ; à tous l’Europe nous est presque aussi chère que la Russie. »
Dostoievski, Journal d’un écrivain
« Il y a trois cents ans que la Russie aspire à se confondre avec l’Occident de l’Europe, qu’elle tire de là toutes ses idées les plus sérieuses, tous ses enseignements les plus féconds, toutes ses jouissances les plus vives. »
Tchaadeiev (1794-1856)
« La Russie est un pays européen qui nourrit des sentiments amicaux envers les autres. Une paix stable sur le continent est pour notre pays le but principal. »
Vladimir Poutine, discours au Bundestag, 25 septembre 2001

Les Russes sont-ils des Européens ? C’est une vieille histoire qui pourrait aboutir plus tôt que certains le souhaiteraient. Depuis des siècles, elle taraude une âme russe déchirée entre ses passions pour les lettres françaises et son mode de gouvernement autoritaire mâtiné de « despotisme asiatique ». Écartelés entre Europe et Asie, les Russes se sont toujours vus comme des « hybrides », des « Scythes aux yeux bridés » selon les constatations fatalistes du poète Blok à la veille de la révolution bolchevique.
La Russie entretient avec l’Europe, depuis toujours, des rapports complexes. D’une part elle appartient pleinement à l’Europe et son histoire est jalonnée par des réaffirmations régulières de cette appartenance ; d’autre part elle a souvent été tentée ou obligée de se tenir en marge de l’Europe.

Sa position géographique illustre cette ambiguïté : elle fait d’elle aussi bien une possible zone frontière entre l’Europe et l’Asie que le pivot d’un ensemble eurasiatique. Mais avec ses 100 millions d’Européens à l’ouest de l’Oural, la Russie du XXIe siècle est européenne par ses hommes, le centre de gravité de sa population et le positionnement de Moscou, sa capitale, son centre de décision en Europe ! Plus de 6 000 km séparent Vladivostok de Moscou qui est à seulement 1 700 km de Berlin ! Et pourtant, tout voyageur ayant atterri en Asie à Vladivostok a encore le sentiment d’être en Europe ; la jeunesse locale de Vladivostok regarde davantage vers l’ouest que vers la Chine. Vladivostok, c’est donc bien l’Europe en Asie, de même qu’en Asie, l’Européen, c’est le Russe ! La Russie dont la tête penche vers l’Atlantique et qui souhaite s’arrimer à l’Europe est donc fondamentalement européenne !

La Russie, tout comme la France, tire son nom d’un peuple nordique européen

Le premier État russe est né d’une union entre Slaves et Varègues, c’est-à-dire ces Scandinaves qui, pendant que leurs frères Viking harcelaient l’Europe occidentale, se sont enfoncés dans les forêts et les steppes d’Europe orientale, le long des voies d’eau. La Russie est donc européenne à l’origine par ses fleuves. Les Varègues ont fait du commerce jusqu’à Byzance, à partir du Ve siècle après Jésus Christ, et avaient des comptoirs dans la région de Kiev. Dans une chronique du XIVe siècle, le moine Nestor écrit que « les Slaves incapables de se gouverner demanderont aux Varègues de leur « donner des chefs » ». On pense aujourd’hui que le mot « Rus » pourrait descendre du mot suédois « Rhos » ou « Rhus » qui veut dire « roux », en référence aux Varègues.

C’est pour se protéger contre les nomades asiates, Khazars et Petchénègues, que les Slaves choisirent l’union avec les Varègues, chargés d’assurer la sécurité des liaisons fluviales nord-sud, le débouché sur la mer Noire et la vente des marchandises et des esclaves sur les marchés de Byzance. C’est à Novgorod que s’installe en 860 le premier chef varègue Rurik, père fondateur de l’État russe. C’est le début de la lente unification des populations qui vivent sur l’immense territoire russe. En 880, Oleg, prince de Novgorod, s’empare de Kiev dont il fait sa capitale. Les cinquante ambassadeurs « russes » qui signent en 945 à Byzance un traité ont des noms scandinaves. Mais les Slaves sont intégrés progressivement et les Varègues adoptent la langue du pays. Vladimir (forme slavisée du scandinave Voldemar) va consacrer à Kiev la montée en puissance de l’État russe ; prince de Novgorod et grand prince de Kiev, il se convertit en 988 au christianisme byzantin, fait du catholicisme la religion des terres russes et épouse la sœur des empereurs byzantins.

La Russie est européenne grâce à Pierre Le Grand et à la fondation de la ville de Saint-Pétersbourg

Pierre Le Grand est le fondateur de la Russie moderne. À l’âge de 25 ans, au pouvoir depuis peu, il part incognito à l’étranger, pour regarder, écouter, apprendre. C’est la Grande Ambassade. Tout l’intéresse : en Hollande, en Angleterre, en Autriche, il étudie les techniques maritimes et minières, les industries, les musées, les mœurs, les pratiques politiques ; il embauche techniciens et charpentiers, achète des canons, des ancres, des agrès, des instruments de navigation qu’il fera copier et reproduire en Russie. À Londres, il fait faire son portrait par Kneller, un élève de Rembrandt. En 1717, au cours d’un long séjour à Paris, il visite la Monnaie, les Gobelins, l’Observatoire, l’Académie des Sciences, discute longuement avec les universitaires de la Sorbonne. La technologie occidentale est aussi mise à contribution pour des objectifs militaires : l’italien Fioravanti est fermement prié de lancer des ponts, de fondre des canons et de former des artilleurs.

Saint-Pétersbourg, l’œuvre de sa vie, est sa fenêtre sur l’Europe. Qu’y a-t-il de russe dans cette ville bâtie sur les marais du Nord par des ingénieurs allemands, dessinée par des architectes italiens, influencée par la Hollande, admirée par les artistes français, où l’on parla si longtemps la langue de Voltaire à la cour ? Rien. Projection urbaine de ses fantasmes et de ses passions, la ville fut créée de toutes pièces par Pierre Le Grand comme une échappée du carcan russe. Le Tsar n’avait qu’une idée en tête : s’éloigner de l’âme et des coutumes russes qu’il détestait, pour ouvrir sa fenêtre sur l’Europe. Laisser entrer de l’air frais venu de l’Ouest ! On est ici au cœur de la volonté puissante et inébranlable d’un seul homme. Quel défi pour un pays de forêts où l’on savait surtout construire en bois et où l’architecture de pierre restait l’exception ! Sa passion de l’eau s’incarne par la Neva et les canaux ; sa phobie de Moscou et de la rusticité de la Russie de l’intérieur se traduit par le désir frénétique de se rapprocher de l’Europe (vêtements traditionnels interdits, port de la barbe soumis à un impôt). Telle fut l’audace, la folie de Pierre Ier en ce début du XVIIIe siècle. Il imposa à tous de s’embarquer dans son projet pharaonique et gare à ceux qui ne suivaient pas ! Ainsi s’érigea dans le sang et la sueur, Saint-Pétersbourg, figure de proue de tout un Empire.

C’est à l’Europe également que Pierre Le Grand emprunta sa conception de l’État moderne. Son modèle fut avant tout l’État suédois qu’il compléta par les avis et conseils de Leibniz. Sa vision était révolutionnaire pour une Russie où, depuis l’éviction des Mongols, dominait une confusion totale entre l’État et le monarque. Pierre le Grand, épris de modernité, mit fin à cette confusion. Il affirma la supériorité de l’État sur la personne du monarque qu’il tenait en même temps pour le premier des serviteurs de l’État. Il assigna à l’action de l’État des buts inédits : le bien public et l’intérêt général.
Pierre le Grand était convaincu que l’édification de sa capitale allait tourner définitivement la Russie vers l’Europe en l’arrachant non seulement à son passé moscovite, mais aussi aux pesanteurs historiques de l’Asie. Pour les uns, Pierre le Grand a été l’homme de l’avenir, celui qui a tiré la Russie vers l’ouest et le futur ; pour les autres, un Antéchrist ou l’ennemi de la vraie Russie. (À suivre)

Marc Rousset – Auteur de « Notre Faux Ami l’Amérique/Pour une Alliance avec la Russie » Préface de Piotr Tolstoï – 370p – Librinova – 2024

 

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