Les étasuniens avaient imaginé l’économie casino. Qui ne fabrique rien d’autre que des dividendes fictifs sur des spéculations, des intérêts sur des sommes déjà dépensées, et produit des faillites et du chômage dans l’économie réelle. Notre Mozart de la finance s’y ébroue comme un maquereau dans la déferlante d’un tsunami.
Les Russes, de leur côté, ont inventé la guerre casino. Personne n’y avait pensé avant. Pas même Sun Tzu. Il est vrai que, de son temps, Macao était encore un village de pêcheurs dont le nuoc mâm (en français jus de poisson pourri) avait assuré la renommée.
Dans les casinos russes, on ne joue pas à la roulette du même nom. Et pour cause, ils sont virtuels sinon vertueux. Ce qui ne les empêche pas de perturber sérieusement le sommeil du dictateur-bouffon de Kiev.
Une armée hétéroclite où on meurt d’ennui
Le casting est fellinien. Beaucoup de vieux qui ne couraient pas assez vite pour échapper aux shangaïers. Des unijambistes à qui on a remis une médaille, ça leur fait une belle jambe. Des sourdingues sereins puisqu’ils n’entendent pas les bombes arriver. Et des mercenaires de toutes les couleurs qui ne parlent pas la même langue.
Quand ils ont fini de creuser pour s’enterrer, ils s’emmerdent grave… Tenir une ligne de front statique et attendre le prochain assaut russe, façon « désert des Tartares », c’est déprimant. Comme si ça ne suffisait pas, la nourriture arrive avariée, la vodka frelatée. Les oligarques servis en premier laissent des miettes aux satrapes locaux.
Ils n’osent pas protester. Le conseil de guerre guette celui qui se plaindrait d’avoir trouvé un cafard dans son quignon de pain. Alors qu’il devrait se réjouir de cet apport inespéré en protéines. Quant aux mutins, ils ont déserté depuis belle lurette. Après avoir flingué leurs officiers. Mais ça, les chaînes de désinformation continue n’en parlent jamais. Le petit clown de Kiev reste invincible à la télé.
Dans cette « démocratie » qui a supprimé les élections, le Zygomyr gouverne par décrets présidentiels, sans rien demander à personne, pour recruter des soldats, déplacer des troupes et décider des ordres de bataille. L’affectation des matériels offerts par l’Occident suit des chemins improbables. La coule fait couler le rafiot. C’est la grande pagaille. Ordres d’attaque et contrordres de repli se succèdent. La chaîne de commandement est rompue. Remake des erreurs grossières du « petit caporal autrichien ».
Ces pauvres Ukrainiens n’ont même pas pour se détendre le BAA (bordel aux armées) une invention française pour soulager les hommes du poids de l’ennui. Et que les Ricains, pudiques ou hypocrites, ont rebaptisé « show aux armées ». Très chaud même. Mais c’est la même chose. Seulement, il faut payer les gagneuses. Et les Ukrainiens n’ont plus de sous. Les milliards d’euros et de dollars ne servent pas à distraire les troupes. Il filent directement sur les comptes offshore des oligarques.
Pour tuer le temps, il reste le jeu
Il ne faut pas se polariser sur les accrochages rapportés par les médias menteurs comme autant de grandes victoires des Ukronazis. Sur mille kilomètres de front, ces escarmouches sont relativement peu nombreuses. Et elles se terminent à l’avantage des Russes. Plus ou moins vite selon le nombre de fantassins que Kiev est prêt à sacrifier.
En attendant l’attaque suivante, les Ukrainiens qui manquent de nourriture, de vodka, de femmes et de munitions, bénéficient de connexions internet correctes. Par satellites. Plus difficiles à éliminer que les antennes relais. Encore un cadeau des USA. À l’origine pour favoriser la communication inter-troupes. Mais tout le monde en bénéficie. Comme naguère quand Arpanet a ouvert la voie au web.
Les casinotiers en ont profité. Outre des casinos en Ukraine qui ont développé des filiales numériques et ont gagné en respectabilité en affectant une partie de leurs gains dans des activités caritatives au profit des forces armées… On trouve aussi des sites de jeux en ligne agissant depuis des pays neutres comme la Turquie, ou réputés amis comme la Pologne ou la Roumanie.
Relativement faciles à tracer pour les Ukrainiens, ils le sont tout autant pour les hackers russes. Mais comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, on a assisté à une multiplication de casinos en ligne, plus ou moins pérennes, appartenant à des Russes. Mais le cupide Occident « non belligérant » ne pourra pas les en dépouiller cette fois, comme de leurs banques, leurs immeubles, leurs navires et leurs avions.
Certains de ces casinos sont gérés depuis Hong Kong, les Samoa ou l’Afrique par des holdings à capitaux panaméens ou sud-américains. Ainsi, ils échappent aux brouillages mis en place. Et au pire, des sites miroirs sont prêts à prendre la relève. Après plus de sept décennies de communisme, les Russes ont vite appris les règles du capitalisme.
Les Ukrainiens s’y ruinent et sont même prêts à trahir pour pouvoir continuer à jouer
Les Russes n’espèrent pas s’enrichir avec les hryvnia, cette monnaie de singe au nom imprononçable qui vaut autant que du PQ sur les marchés ouverts des devises. C’est beaucoup plus subtil. En encourageant les Ukrainiens à s’en défaire, après leur avoir ouvert des comptes virtuels plus ou moins itinérants, on contribue à finir de désorganiser une économie déjà bien mal en point, et à perturber des échanges pas vraiment fameux, du fait du manque de moyens de paiement.
Le vendredi 29 mars, un groupe d’officiers, à l’instigation du commandant Pavlo Petrytchenko, a adressé une requête au Zygomyr, dénonçant les ravages des jeux d’argent dans les rangs militaire. Tous les grades seraient concernés. Dans la journée, cette pétition aurait recueilli 25 000 signatures. Assez pour attirer l’attention du clown-dictateur à vie, et peut-être l’inciter à prendre des mesures coercitives. Ça, il sait faire.
D’après « L’Immonde » le brûlot diffusé par le commandant Petrytchenko aurait traduit l’exaspération des hommes non contaminés par la ludomanie et la réprobation de la population civile pour qui les addicts au jeu sont des drogués auxquels on ne peut pas faire confiance.
Avec quelques précautions de style (la nuisance des commissaires politiques n’est pas évoquée), les jeux sont décrits dans la pétition comme un moyen de faire face au stress pour des soldats déprimés, harcelés et humiliés par des sous-off hargneux, loin de leurs familles, sans possibilité de se reposer correctement, ce qui les rend particulièrement vulnérables sur le plan psychologique.
Le commandant Petrytchenko pourrait être accusé de trahison pour avoir révélé ainsi, au monde entier et donc aux Russes, l’état de délabrement moral des redoutables guerriers de Kiev. Mais il est pour le moment intouchable. Jusqu’à ce qu’il lui arrive un « accident »… Quand il aura formé un successeur. Car il dirige une unité de drones qu’il est un des rares à savoir bien programmer, réussissant des coups au but plus souvent que ses collègues.
Des jeux faciles d’accès, et tentants pour des gens désœuvrés, font partie de la stratégie d’affaiblissement de l’Ukraine
Cette addiction aux jeux d’argent sème, selon la pétition, le chaos au sein des troupes armées. Des joueurs empruntent, ne remboursent pas, ou volent leurs camarades, et ça finit par des dents et des nez cassés. D’autres dépenseraient l’entièreté de leur solde et seraient incités à contracter des microcrédits qui les écrasent, eux et leurs familles, sous le poids des dettes. Fermes hypothéquées et femmes prostituées dans les cas les pires. L’enfer du jeu… Des témoignages crédibles évoquent même des transactions où des soldats mettent en gage en Ukraine des drones et des caméras thermiques, affaiblissant les forces armées.
Certains, dans des régions poreuses, où une partie de la population restée pro-russe sert d’intermédiaire, vendent carrément à l’ennemi les drones les plus performants. Les Russes ne manqueront pas d’en relever les faiblesses pour les rendre vulnérables. Et en reconstitueront la conception par rétro-ingénierie.
C’est assez facile quand on lance chaque jour des dizaines de ces « moustiques » d’en mettre à gauche quelques-uns pour les vendre à ceux d’en face. En prétendant qu’ils ont été abattus au cours d’un raid. Personne ne tient une comptabilité exacte du matériel et de sa consommation.
Un espion dans chaque smartphone
Au-delà du front, les autorités voient dans ces jeux une menace directe pour la sécurité nationale. Les casinos en ligne russes ciblent les militaires ukrainiens pour accéder à leurs données personnelles. Connaître leurs noms, leurs emplacements et déplacements. Éventuellement lire leurs mails. Considérer comme morts ceux qui ne misent plus. Et évaluer leur grade selon l’argent qu’ils y dépensent. Des algorithmes seraient même utilisés pour faire des tris croisés pertinents de ces données.
Le commandant ukrainien, en conclusion de sa pétition, demande à Zelensky d’interdire les jeux d’argent aux personnels militaires. Le Zygomyr affirme y réfléchir. Mais ses conseillers l’ont alerté sur le risque d’atonie pour le moral des troupes. Le jeu produit de l’adrénaline qui revigore les déprimés, maintient un certain niveau de vigilance et d’agressivité, et sert de soupape de décompression aux plus stressés. C’est la quadrature du cercle.
Christian Navis