Héritiers abâtardis d’une aristocratie pompeuse et pédante qui avait pour partie gagné ses galons sur les champs de bataille, les petits marquis culs serrés ou efféminés, qu’importe, méprisent les paysans.
Les petits marquis papillonnent dans les mirages de la politique, où ils n’ont plus aucun pouvoir. Puisque les décisions importantes sont prises par les eurotocrates… Il ne leur reste que les oripeaux du pouvoir, des costumes trois pièces, ternes copies des « bespoke » de Savile Row, et l’art de grasseyer des fadaises en prenant l’air inspiré.
Les cyber-technologies les ont privés du privilège de décider du bon goût en matière littéraire et artistique. Leurs avis ne sont que des nuages, parmi tant d’autres. Sans les subventions de la propagande et du copinage, la presse aurait depuis longtemps fait faillite, les salles de cinéma seraient vides et les enregistrements sonores ne rapporteraient plus un kopeck.
Mépriser les paysans est le dernier artefact leur permettant d’afficher une supériorité factice
Cette attitude détestable vient de loin. Elle s’était un peu estompée avec la télé dans tous les salons, et la société de consommation où « l’homme unidimensionnel » de Marcuse consommerait, penserait, voterait et baiserait comme son voisin. Plus de place pour les particularismes régionaux !
Cette vision propre aux sixties a fait long feu. Les manifestations récentes, par lesquelles le monde agricole a exprimé ses inquiétudes, ses doutes et ses revendications, ont fait resurgir les fractures profondes qui ont toujours existé entre le monde rural et la société urbaine. Et l’odieuse discrimination subie par la ruralité. Sans que cela émeuve outre mesure les bobos bien-pensants.
Étrange paradoxe sociétal. Des lois interprétées par des juges militants sanctionnent tout propos dévalorisant contre les étrangers, fussent-ils des délinquants. Et les faiseurs d’opinion des médias s’extasient devant le sabir des allogènes… Par contre, le racisme contre les « culs-terreux » et leurs patois, sinon leurs accents brocardés, ne posent aucun problème aux donneurs de leçons de bonnes manières.
La cohésion de la société française a été longue à construire
La religion chrétienne, plus tard le service militaire, les décorations et les diplômes ont servi de liant entre des éléments ethniques, économiques et socio-culturels disparates qui ont fini par fusionner dans un ensemble national. Renforcé par une histoire partagée, le sang versé pour la Patrie, un avenir qu’on voulait bâtir en commun avec un ascenseur social bienveillant et des modes de vie relativement proches.
Un modèle qu’on a tenté naïvement de reproduire avec des mahométans, pour la plupart hermétiques aux tentatives d’assimilation. Ils ont importé leur langue, leur religion, leurs préjugés et leurs coutumes archaïques. Pour eux d’abord. Et ensuite pour en faire don aux Français.
La France a été construite depuis Paris, comme un État hyper-centralisé, développant le sentiment de supériorité de la capitale sur la province
Aucun roman, aucun tableau, aucune pièce de théâtre, aucune composition musicale ne pouvait prétendre exister sans réussir à Paris. Aucun scientifique, aucun inventeur n’était crédible s’il n’épatait pas d’abord les Parigots. Quant à la carte des routes et des chemins de fer, c’est une toile serrée dont l’araignée trônait à Versailles, puis à l’Élysée.
Un rôle approchant a été joué à leur tour par les métropoles régionales, voire les simples sous-préfectures, réputées évoluées, instruites, avancées par rapport aux campagnes tenues pour arriérées, illettrées, alcooliques. C’est toujours la vision qu’en a Macronescu le psychopathe. Et probablement une des raisons de la sympathie que lui vouent les paysans. En plus des décisions iniques favorisant des importations étrangères, en concurrence déloyale avec les productions françaises.
Le bourgeois parigot et son verbe pointu érigés en parangons du bien-parler – bien-penser, s’imposant à tous
Quand on écoute et observe la plupart des présentateurs et animatrices des télés, qui ne sont plus depuis belle lurette des journalistes, on a l’impression qu’ils s’auto-caricaturent jusqu’au grotesque. Même façon de s’exprimer en articulant avec emphase, comme s’ils retenaient des rots acides… Même choix de mots redondants surfant sur les éléments de langage de la doxa. Mêmes attitudes corporelles et mêmes mimiques expressives ou inexpressives selon l’interlocuteur et le sujet.
Dans le temps, il y avait des cours de déclamation pour les apprentis théâtreux. Où ils apprenaient à surjouer comme dans les pièces de boulevard. À croire que les insupportables blablateurs du petit écran y ont fait leurs classes… Ils n’ont pas tous eu la chance d’être déniaisés par un professeur très particulier. À tous points de vue. On se comprend.
Les Zélites n’ont jamais compris que les régions étaient des richesses pour la France
Avant la Révolution française, chaque province avait sa langue propre et son accent. Avec des isolats linguistiques liés à l’enclavement, l’histoire, l’économie locale. Mais pour le seigneur de Vaugelas (1585-1650) baron de Pérouges, né Claude Favre, un arriviste qui pétait plus haut que son cul : « La façon de parler la plus saine est celle de la Cour. »
Tout est dit. La Révolution n’y changera rien. Si ce n’est l’identité et les fonctions des maîtres de cérémonie. La langue de la capitale va être imposée à partir de la Révolution française à toutes les populations rattachées à la France. Elle sera considérée comme la langue officielle de la France. Avec sa grammaire complexe et son orthographe alambiquée. Une véritable dictature linguistique s’instaure.
La domination « républicaine » commence par le mépris
Dès la Première République, les révolutionnaires coupeurs de têtes considéraient qu’en province on parlait des jargons barbares et des idiomes grossiers qu’il fallait éradiquer. Le rapport Barrère, publié en 1794 énonce de monstrueuses inepties : « Il s’agit d’idiomes dégénérés parce que l’homme des campagnes, incapable de développer ses idées, manquera toujours de termes abstraits, à cause de son inévitable pauvreté de langage, qui resserre son esprit. »
Le mépris des provinciaux, des ruraux et de leurs langues par les bourgeois des villes a été sans bornes. Il a culminé au XIXe siècle sous la forme d’un véritable ostracisme, avec pour principales cibles les Bretons, les Gascons et les Méridionaux, là où la langue et la culture locales était fortement enracinées.
La prétendue supériorité du français sur les patois régionaux s’imposera à l’école de la République. Les hussards de la IIIe sont formés pour articuler toutes les lettres, même celles qu’on ne prononce pas dans une conversation courante, afin que nul n’ignore l’orthographe. Sans avoir peur de passer pour des racistes avec des slogans rappelés au tableau noir : « Interdit de parler breton (ou provençal ou savoyard) et de cracher par terre. »
Haro sur les langues régionales qualifiées de patois
La norme de prononciation du français repose sur le modèle d’une « conversation soignée chez des Parisiens cultivés ». Les patois des campagnes sont disqualifiés et méprisés, en associant le monde rural à une prétendue arriération intellectuelle. Pour Macron, il n’y a que des idiots de village pour oser tenir tête à son génie.
Pourtant, il n’y avait pas que les ruraux qui parlaient « patois ». Ces langues, gascon, occitan, provençal, breton, basque, eurent aussi leur place dans des villes de province. Frédéric Mistral, prix Nobel de littérature, a écrit son œuvre en provençal.
Aujourd’hui, on sait que parler plusieurs langues dès la petite enfance confère une élasticité intellectuelle qu’on conserve toute sa vie pour apprendre ensuite d’autres langues et acquérir bien d’autres compétences. Heureux les métèques qui, en plus des mots, jonglent avec des références culturelles multiples… Ce qui n’empêche pas de privilégier la France et sa culture !
Comme l’orthographe est la science des ânes, la religion du français académique est celle des cuistres
Le « plouc » et son parler sont méprisés par des gens qui ont besoin de se croire supérieurs pour exister. La prononciation et l’accent du « plouc » le désignent à toutes les moqueries. Alors que les jargons professionnels, administratifs, sportifs ou de loisirs, valorisent des catégories socio-culturelles surcotées. C’est gratifiant d’être nerd ou hipster, footeux ou zyva, juriste ou voileux, mais la campagnitude (comme dirait Ségolène) est le stigmate indélébile du sous-homme.
Au Québec, comme aux Seychelles, partout où la France a laissé son empreinte, on parle un français original dont les néologismes et les combinaisons linguistiques m’enchantent. En Polynésie, on parle un français un peu désuet agrémenté de tournures locales et de mots austronésiens… Mais pour en apprécier les attraits, il faut avoir l’âme vagabonde d’un poète intemporel.
Christian Navis