Depuis quelques décennies, le mouvement d’idées appelé « wokisme » progresse aux USA et dans les pays européens. L’impact est considérable et se fait ressentir dans les milieux de pouvoir, les relations humaines et les décisions politiques.
Si les historiens ont montré que le ministre français Arthur de Gobineau était un des maîtres à penser des théoriciens nazis, et que la révolution française avait sérieusement inspiré les bolcheviques (du passé faisons table rase), le public n’est pas toujours conscient du fait que des philosophes français sont à l’origine du wokisme.
En effet, le concept médiatisé de « déconstruction » est attribué essentiellement à Jacques Derrida. Mais les postmodernes comme Deleuze, Lyotard, et Foucault y ont leur part. D’ailleurs, les américains ayant adopté ce logiciel pour le faire fructifier dans les universités appellent cette option la « french theory ».
Derrida a commencé par proposer une nouvelle lecture des textes, en les déconstruisant, afin de démystifier la morale, la religion, la philosophie, le langage, la science. Son but était de faire disparaître les paradigmes universalistes qui selon lui conditionnent l’appréhension du réel, la nature humaine, le langage et le corps. Il estime qu’il n’y a pas de vérités, ce sont seulement des croyances. Au-delà de sa méthode initiale d’analyse, Derrida en vient à déconstruire ce qu’il nomme le phallo-logo-centrisme. C’est pour lui le symbole de la domination du mâle blanc, et cette centralité est à l’image de la prétention d’un Occident masculin, blanc et capitaliste.
Alors que le marxisme se focalisait sur l’exploitation et l’aliénation du peuple, ici c’est le concept de domination qui devient la seule clé de lecture. C’est désormais le levier pour disqualifier la validité des normes sociales, morales, religieuses et scientifiques.
La promotion de la déconstruction s’attaque principalement à deux domaines : la théorie du genre et le racisme. Les universitaires américains disciples de Derrida ont mis au point le principe d’intersectionnalité, pour connecter, selon eux, les multiples formes de discrimination et de domination. No limit pour unir les causes militantes telles que le féminisme, les minorités sociales, l’écologie, etc.
En 1949, Simone de Beauvoir publiait « le deuxième sexe ». En 1990, Judith Butler publie son essai « Trouble dans le genre ». Cette ligne de pensée radicalisée déconstruit l’identité de genre et la sexualité elle-même.
Elle considère que tout n’est que construction sociale, et que ce sont les discours qui font le genre…Cette nouvelle approche devenant aujourd’hui omniprésente part de l’idée qu’être homme ou femme n’a en fait aucun lien avec le sexe biologique. L’identité n’est que la manière dont l’individu se perçoit. Seul importe le « ressenti ». Devenir « queer » passe par le refus de toute norme sociale, la légitimité naturelle n’existe pas. D’où la promotion de l’homosexualité par de puissants lobbys, y compris auprès des enfants et des adolescents.
Dans cette logique, non seulement le sexe et le genre n’ont aucune existence objective, mais la race elle-même est une construction de la société. Pour ces théoriciens du wokisme, le fait d’attribuer une race à un individu n’a pour intention que de le discriminer. Ce sont les dominants qui racisent les personnes, afin d’assurer leur privilège blanc. Cette racialisation ouvre un champ critique souvent agressif qui postule que le racisme est systémique et omniprésent. L’Occident devient la cible. Des associations se positionnent sur cette ligne afin d’accuser les instances étatiques de répartir artificiellement les rôles sociaux. Certaines réunions rassemblant des noirs sont interdites aux blancs. Ces organisations font le lit du communautarisme et de ses dérives.
Le déconstructivisme conditionne ainsi une nouvelle forme de « politiquement correct » et revendique un état d’alerte permanent en faveur des minorités discriminées. Les réseaux sociaux amplifient le phénomène et consacrent l’inclusivisme. Le wokisme se propage à tous les niveaux des médias, des milieux politiques, des services de l’Etat, et même dans les entreprises qui s’y soumettent avec complaisance. La publicité et ses clips racisés en sont un autre avatar envahissant.
Devant une amnésie si généralisée, on peut même se poser la question de savoir comment évaluer avec précision ce qui se passe dans les milieux d’Eglise. Certains, au plus haut niveau, ont visiblement été contaminés par le wokisme et le déconstructivisme. Le peuple chrétien, comme le peuple juif dont il est issu, est pourtant un peuple de la mémoire. Quid de la transmission des valeurs fondatrices de la foi ? Les exemples préoccupants ne manquent pas dans les débats synodaux actuels des catholiques avec les controverses ecclésiales qui partent en tous sens : les effets de cette idéologie sont déjà bien ancrés dans certains milieux protestants libéraux américains et européens, à l’exception des évangéliques, mouvement montant du christianisme, rassurant par son littéralisme biblique. Or si la mission de l’Eglise du Christ n’est pas de se laisser formater par une étroite lecture du passé, elle est encore moins de se conformer complaisamment aux modes passagères du monde. Elle se doit de témoigner de son message libérateur à temps et à contretemps. Toutefois, l’accueil bienveillant de tout être humain ne justifie en aucun cas la dilution des fondamentaux.
Ce n’est pas un hasard si Jésus, non seulement mettait en garde contre les guides peu fiables, mais désignait le danger de ces aveugles qui guident d’autres aveugles. Espérons que l’Esprit saura agir au moment voulu pour réactualiser dans une Eglise réconciliée les voies de la dignité humaine et du salut intégral.
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.