Bref rappel historique
Dans les années cinquante, des archéologues découvrent sur le site assyrien de Nippur (Irak) un parchemin faisant l’éloge d’un remède dont la formule évoque la légendaire Thériaque.
La thériaque est sans doute le premier médicament élaboré et commercialisé dans l’histoire de la pharmacopée. Constitué d’une cinquantaine de principes actifs (opium de Smyrne, gingembre, valériane, rhubarbe, gentiane, aloès, etc.) il aurait été d’abord prescrit pour ses vertus tonifiantes et comme antidote aux poisons et aux venins.
Ce remède traverse les siècles et on en retrouve diverses formules selon les régions jusqu’à ce qu’il soit mentionné au Codex en 1758. On utilise encore le sirop de thériaque au XIXe siècle comme sédatif léger.
Au Ve siècle, Cassiodore, préfet du prétoire romain, demande aux monastères de former des « apotecarius » (à la fois médecins et pharmaciens) sur le modèle des pharmaciens arabes de Bagdad. Outre la thériaque, apparaissent alors décoctions, poudres, sirops, onguents…
Parallèlement à l’histoire commerciale de la thériaque, se développe en Europe la conception et la diffusion de principes actifs mis au point d’abord par les moines puis, avec le développement des villes et l’apparition des corporations, par les apothicaires-épiciers.
Dès le Moyen Âge, outre le commerce de son art, le maître apothicaire forme, de manière empirique, des apprentis et des compagnons à la pratique du latin, des formulaires et des ordonnances.
Au cours des siècles, des communautés d’apothicaires se créent à Montpellier, Toulouse, Paris… et posent les fondements d’une réglementation de la délivrance des drogues et remèdes, ainsi que de la réclame qui en est faite par les crieurs publics ou par voie d’affiches.
Le roi Saint-Louis définit et règlement officiellement en 1258 le statut des apothicaires. Par une succession d’édits royaux, c’est le Lieutenant-général de police qui s’assure du respect des règles et sanctionne les contrevenants.
En 1777, le roi Louis XVI crée la profession de pharmacien en instaurant le Collège Royal de Pharmacie. Après la Révolution, Napoléon Ier décide de favoriser l’essor de la pharmacie et de la médecine. Ce sera l’époque des grandes avancées médico-chirurgicales et pharmaceutiques.
Avec la révolution industrielle, apparaissent à la fin du XIXe siècle les balbutiements de ce qui deviendra l’Industrie Pharmaceutique. En France, ce sont des pharmaciens d’officine qui vont lancer le mouvement en fabriquant des préparations de leur invention et en les faisant commercialiser dans tout le pays par des réseaux de commis-voyageurs.
Les temps modernes
Avant la Première Guerre mondiale, commencent à fleurir des sites de fabrication de médicaments qui portent les noms des pharmaciens officinaux qui les ont créés : Delagrange, Aguettant, Lafon, Beaufour…
En 1917, les frères Louis et Auguste Lumière sont bouleversés par les souffrances des grands brûlés qui reviennent du front. Ils inventent le Tulle Gras qui est toujours utilisé depuis et créent les laboratoires Lumière à Lyon qui produit également le Lumirelax (toujours disponible en 2023).
Ainsi, l’industrie pharmaceutique française est née de l’officine. Un potard inventif crée une spécialité, la commercialise et si elle est reconnue efficace, il fait fortune et monte une entreprise qui va se doter d’un bureau de recherche et trouver de nouvelles molécules.
Chez nos voisins allemand et belges, les entreprises uninominales sont plus rares parce que le médicament dérive de l’industrie chimique. En Belgique, à Anvers le docteur Janssen crée son laboratoire à son retour d’Afrique, mais le gros producteur de médicaments belge est UCB (Union Chimique Belge). En Allemagne, les firmes familiales Madaus et Merck ne pèsent pas lourd face aux géants de l’industrie chimique Bayer et Boehringer.
Après la guerre, des filiales de firmes allemandes aux USA sont tout simplement confisquées et, grâce au génie financier des américains deviennent des leaders mondiaux de la pharmacie : Merck devient Merck-Sharp-Dohme et Schering AG devient Schering-Plough.
Le Monopoly pharmaceutique
En Europe, mais surtout en France, à partir des années 80 commence la valse des fusions-acquisitions. C’est la fin des entreprises familiales qui, l’une après l’autre, se font dévorer par les grosses multinationales. En 2020, s’imposent alors sur le marché pharmaceutique des firmes telles que Johnson & Johnson (USA 82 milliards de $ de C.A.), Roche (Suisse 63 mds), Pfizer (USA 49 mds), Novartis (Suisse 49 mds), Sanofi (France 47 mds), etc. Dans les 12 premières firmes mondiales, 6 sont américaines.
Certes, la R & D nécessite des investissements lourds et la création de nouvelles molécules peut être aléatoire puisque, en moyenne, pour aboutir à un médicament innovant il faut partir de 10.000 molécules criblées à 10 qui feront l’objet d’un dépôt de brevet et 1 qui parviendra à passer toutes les étapes de tests et d’essais cliniques pour devenir un médicament. Le parcours qui va du « candidat-médicament » au malade est long, au moins 12 ans, complexe et coûteux. En 2012, une étude avait estimé que la mise au point d’une nouvelle molécule représentait un investissement d’environ 900 millions de $, et même de 1,5 milliard de $ en tenant compte du coût du capital. (source LEEM)
Il faut bien comprendre que les actionnaires qui siègent à Lausanne ou à Boston attendent un retour sur investissement mesuré par le taux de rentabilité attendu, et qui est assimilable au coût de l’argent nécessaire au financement des projets menés en R&D.
De ce fait, disparaît l’esprit humaniste et scientifique du brave potard qui était fier de contribuer au progrès de la médecine en créant un antitussif, un phlébotonique ou un antiparasitaire. Ce qui compte désormais c’est la rentabilité financière produite par un « blockbuster », c’est-à-dire un produit qui rapporte au minimum 1 md de C.A. annuel. Soyons lucides : aujourd’hui, un laboratoire pharmaceutique est un produit financier et pour les actionnaires de Lausanne et de Boston, ce qui prévaut sur toute considération, c’est la fameuse « ligne du bas à droite ».
Médicaments innovants et efficaces
Néanmoins, il convient d’être honnête. Heureusement que les populations ont pu compter sur la recherche pharmaceutique pour mettre au point des solutions thérapeutiques majeures qui traitent avec succès des pathologies graves. C’est par exemple le cas du Zolgensma, un médicament de thérapie génique produit par une filiale de Novartis et prescrit dans le traitement de l’amyotrophie spinale dont l’espérance de vie n’excédait pas 5 ans avant la découverte de cette molécule. Mais il y aussi le célèbre Prozac (Fluoxétine), antidépresseur, le Captopril pour les insuffisances rénales graves, Eyeléa pour traiter la dégénérescence maculaire, le Flolan pour l’hypertension artérielle pulmonaire, ou encore le Glivec prescrit dans les cas de leucémie myéloïde chronique…
Bien entendu, tout le monde a entendu parler du célèbre Viagra, découvert par des chercheurs britanniques mais dont le brevet est exploité par Pfizer.
Course aux profits, mais non sans risques… pour les patients !
En Occident, les dépenses de santé ont plus ou moins prises en charge soit par la collectivité nationale, soit par des assurances privées ou des réseaux de soins (HMO). Ces systèmes garantissent une rente pour les firmes pharmaceutiques mondiales en recherche de profits qui établissent des stratégies de « marchés ».
On voit ainsi depuis plusieurs années les « major compagnies » se battre sur les marchés qui recèlent les plus importants « gisements » de patients (douleur, diabète, arthrose, …). Certes, les patients en attente de solutions thérapeutiques ne peuvent qu’être satisfaits lorsqu’un médicament efficace est mis à la disposition du corps médical.
Le problème vient de cette concurrence acharnée entre firme qui, pour s’imposer sur un marché, confondent vitesse et précipitation. Ce qui les contraint parfois à retirer du circuit un médicament annoncé comme prometteur et qui, après avoir été prescrit des millions de fois, se révèle toxique ou inefficace.
On se souvient du Vioxx, retiré du marché en septembre 2004 après avoir provoqué 27.785 décès par infarctus du myocarde, mais qui a généré 2,55 milliards de $ de chiffre d’affaires en 2003.
Dans la foulée, Pfizer est contraint de suspendre la vente du Bextra, un anti-inflammatoire du même type que le Vioxx, retiré par Merck en septembre. Ces deux spécialités généraient un chiffre d’affaires supérieur au milliard de dollars.
Série noire pour Pfizer qui, en juin 2010 doit retirer du marché le Mylotarg, un médicament utilisé contre une forme de cancer de la moelle osseuse. L’agence sanitaire américaine (FDA) a demandé ce retrait en raison de doutes sur l’innocuité du traitement.
Il est arrivé aussi qu’un médicament obtienne son AMM (autorisation de mise sur le marché) pour une indication précise mais qu’il soit galvaudé dans une autre, non agréée par les autorités sanitaires. Ce fut le cas du Médiator, médicament approuvé pour traiter le diabète de type 2 ou non insulino-dépendant mais largement utilisé en traitement amaigrissant.
Alors que c’était chose rare autrefois, depuis la fin des années 90 c’est une trentaine de médicaments présentés comme innovants qui ont été brusquement retirés du marché parce qu’inefficaces ou toxiques, mais non sans avoir rapporté des milliards de dollars et d’euros aux firmes qui le commercialisaient.
Le plus regrettable également est que, lorsqu’est déposé un dossier d’AMM pour une nouvelle molécule présentée comme révolutionnaire, parallèlement les experts dégradent la note ASMR (amélioration du service médical rendu) de produits anciens et peu coûteux qui rendaient service par leur action symptomatique. Pour reprendre l’exemple de la pathologie arthrosique, une ministre de la santé, ignare autant qu’inepte, a justifié le déremboursement de ces médicaments prétextant que « l’arthrose n’est pas une maladie » (sic). Mais étaient admises au remboursement les nouvelles molécules qui, au mieux, se sont révélées inefficaces sinon responsables de milliers d’effets secondaires graves.
Lobbying, corruption, incompétence ?…
La crise du COVID a suscité un certain nombre d’interrogations et a braqué l’éclairage sur des pratiques douteuses impliquant responsables politiques et intérêts financiers.
Emmanuel a voulu que soit mutualisé l’approvisionnement en vaccins pour les pays membres de l’UE. Ce qui fut fait, mais dans la précipitation, la gabegie et l’opacité.
En principe, pour qu’une spécialité pharmaceutique soit mise à disposition du public, il faut compter au minimum 10 ans d’essais cliniques successifs. Or, premier doute, le vaccin anti-covid a été commercialisé en 3 mois. Par ailleurs, d’aucuns ont affirmé qu’il s’agissait non pas d’un vaccin, mais d’une thérapie génique.
Bref. Qu’a donc fait pour l’intérêt des peuples européens la commission européenne de Bruxelles ?
On découvre que le 28 avril 2021, Ursula von der Leyen négocie par SMS avec le PDG de Pfizer (où son mari est cadre supérieur) une commande de 2,4 milliards de doses. Fin 2021, on apprend que l’UE s’est engagée sur une commande de 4,6 milliards de doses pour un montant de 71 milliards d’€. Convoqués pour s’expliquer devant le parlement européen, Mme von der Leyen et Albert Bourla refusent de comparaître et de divulguer le contenu de leurs SMS. Dans le même temps, il apparaît que Mme von der Leyen a signé un chèque de 80 milliards d’€ à la société Curevax qui n’a jamais produit de vaccin !
Mais cela ne s’arrête pas là, les députées Virginie Joron découvre que la présidente de la commission européenne a passé le 26 mai 2023 un avenant au contrat Pfizer pour que les livraisons de doses se poursuivent jusqu’en 2027 et que, pire encore, un contrat d’1,4 milliards d’€ prévoit de produire 325 millions de doses par an jusqu’en 2031 ! Pourtant, fin 2021, 300 millions de doses livrées et payées n’ont pas été utilisées (dont 100 millions en France).
On comprend comment Oxfarm, en novembre 2021, a pu évaluer que « Pfizer, BioNTech et Moderna réalisent 1 000 dollars de bénéfices par seconde ». Rien que Pfizer a doublé son bénéfice net en 2021, à 22 milliards de dollars. Et le géant mondial de la pharmacie prévoit cette année d’écouler pour 32 milliards de dollars de son vaccin contre le Covid-19 développé avec BioNTech, et pour 22 milliards de sa pilule anti-Covid.
Néanmoins, Pfizer est aujourd’hui l’entreprise la plus condamnée au monde dans le domaine de la santé. Bien qu’elles ne remettent nullement en cause l’intérêt et l’efficacité de son vaccin anti-Covid, les dizaines de condamnations de Pfizer interrogent sur le respect qu’accordent les mastodontes pharmaceutiques au bien public.
Un autre scandale en cours au Parlement européen avec le lobby de l’industrie pharmaceutique EFPIA (Fédération européenne des associations et industries pharmaceutiques) qui utiliserait deux députés du PPE comme pigeons pour assouplir une étude scientifique peu favorable au secteur pharmaceutique.
La députée Michèle Rivasi (décédée il y deux jours) a révélé : “Le thème de l’étude – l’accès aux médicaments et l’innovation – est au cœur des débats sur la révision de la législation pharmaceutique de l’UE. De plus, les conclusions de l’étude sont peu favorables aux arguments que l’industrie pharmaceutique défend actuellement. Les 25 et 26 octobre, juste avant la publication de l’étude, l’EFPIA avait envoyé des courriels à M. Ehler ainsi qu’à sa collègue Pernille Weiss (PPE), respectivement membre du STOA (organe officiel du Parlement européen, chargé de l’évaluation des sciences) et rapporteur pour la proposition de révision des règles pharmaceutiques du Parlement européen.”
Manque de transparence, non-respect des règles de procédure… à la barbe de députés européens !
Restons optimistes !
Bien sûr, on ne peut être qu’indignés à observer cette invraisemblable gabegie d’argent public dont les auteurs se pavanent en défiant ceux de nos élus qui ont le courage de révéler leurs turpitudes. Mais les choses et les esprits progressent. Un juge vient d’être saisi à Bruxelles pour enquêter sur ces faits plus que troublants.
Par ailleurs, sachez qu’il y a parmi nos entreprises pharmaceutiques des chefs d’entreprises honnêtes qui emploient des chercheurs compétents. Plusieurs laboratoires franco-français résistent à la prédation mondialiste et travaillent pour mettre à la disposition des prescripteurs des molécules utiles et efficaces. Il existe aussi des laboratoires de dimension internationale qui travaillent sur les maladies orphelines et les pathologies graves.
Les chercheurs continuent à creuser leur sillon dans plusieurs domaines : par exemple cellules-souches et « poussières cellulaires » pour faire de la médecine régénérative. À Lausanne et aux États-Unis, des scientifiques sont parvenus à faire retrouver l’usage de leurs jambes paralysées à des patients, après une lésion de la moelle épinière, grâce à une électrode implantée.
La Médecine progresse chaque jour, faisons confiance aux chercheurs, mais ayons la volonté et le courage chasser les marchands du Temple.
Jean-Yves Léandri