Jésus chemine avec ses apôtres sur la route de Jérusalem. Il sait qu’il va devoir vivre sa passion, et il désire connaître de quelle manière il est perçu par les disciples qu’il a formés. Ceux-ci ont profité de son enseignement en paraboles, ils l’ont entendu faire le lien entre les événements et les textes de la Parole de Dieu, ils ont confiance en lui. Pour vous, qui suis-je ? leur demande Jésus. Les apôtres s’expriment par la voix de Pierre : ils ont tous été témoins de la compassion de Jésus pour les membres de son peuple, envers ceux et celles qui sont tourmentés, envers ceux qui attendent une guérison de leur corps et de leur âme, la diversité de toutes ces personnes que Jésus a aidées à se reconstruire grâce à une espérance nouvelle accompagnée d’une force intérieure.
Et Pierre déclare en réponse à la question de Jésus : Tu es le Messie ! le Fils du Dieu vivant. Le Fils du Dieu vivant signifie que Jésus qui se présente comme le Fils de l’Homme est bien l’Emmanuel, Dieu parmi nous, tel qu’annoncé dès le début de l’évangile de Matthieu. Mais le Dieu vivant est surtout cité comme puissance céleste en opposition au règne des idoles que sont l’égoïsme, le pouvoir oppresseur, l’injustice, les forces des ténèbres… C’est pourquoi Jésus répond à Simon Pierre par une béatitude : Heureux es-tu, fils de Yona (la colombe de paix) ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux !
Ce n’est pas à la suite d’une attente limitée aux dimensions terrestres que tu as pris conscience de cela, mais c’est mon Père invisible dans les cieux qui t’a révélé = c.a.d. enlevé le voile des yeux…Dans le même sens, Jésus demande aux disciples de ne pas annoncer au peuple qu’il est le Messie, car le peuple attend un messie de pouvoir alors que Jésus veut être un messie de service et d’humilité.
Pour vous, qui suis-je ? Aujourd’hui, des intellectuels, des poètes, des philosophes, des historiens reconnaissent en Jésus un grand homme du passé, à la rigueur : un visage exceptionnel de l’humanité, mais ils en restent là. Même si c’est déjà pas mal, (plutôt que l’indifférence ou l’hostilité), cela ne correspond pas vraiment à ce qu’est Jésus en tant que Christ, à ce salut libérateur qu’il apporte dans sa mort et sa résurrection. On en reste au seuil du mystère. De même que Jésus a échappé à la foule lorsqu’elle voulait le couronner roi, nous le voyons ici qui refuse qu’on définisse sa personne et sa mission de façon trop restrictive et trop terre-à-terre. Etre messie, pour Jésus, ce n’est pas instaurer un règne à la manière des grands de ce monde, c’est inaugurer des temps nouveaux où l’homme n’est plus un loup pour l’homme, où tout va concourir à manifester l’amour qui vient de Dieu.
Après la réponse de Pierre clairement faite au nom de l’équipe des apôtres, Jésus institue le genre d’autorité qu’il désire dans son Eglise : tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon assemblée. C’est donc sur la confiance et la conviction exprimées par Pierre que Jésus construit sa communauté de foi fidèle à la révélation biblique. Et il transmet les clés qui actualisent cette responsabilité communautaire. Il ne faut pas y voir un pouvoir personnel exclusif de Pierre centré sur son individualité, mais un pouvoir confié à cette Eglise dont il est le serviteur et le porte-parole. Serviteur des serviteurs, comme se nomment les papes, car le vrai chef de l’Eglise c’est Jésus-Christ. Historiquement, le dogme de l’infaillibilité pontificale a été promulgué par le concile non pas comme un privilège individuel, mais comme une fiabilité incontestable que le Christ a conférée à son Eglise. Ainsi, nous voyons dans le livre des Actes des Apôtres que Paul lui-même conteste Pierre s’il estime qu’il n’agit pas en conformité selon la vérité de l’évangile. Il demande qu’il se comporte toujours « dans le nom de Jésus », c’est-à-dire seulement en fonction des exigences précises du Christ. En d’autres termes, il y a infaillibilité de l’évêque de Rome spécialement lorsqu’il rappelle les fondamentaux de la foi : Jésus Fils de Dieu, sa mort rédemptrice et sa résurrection, les principes éthiques de base issus de la révélation biblique, en revanche il n’y a pas infaillibilité lorsque le souverain pontife parle d’éoliennes, de mondialisation migratoire, de sympathies ou d’antipathies politiques, de rencontres interreligieuses, etc. Ce sont certes des sujets d’actualité importants, mais qui restent dépendants du kerygme, donc soumis au débat théologique et aux analyses contradictoires de spécialistes catholiques compétents. Ce qui illustre parfaitement le fait que Jésus a demandé à Pierre de construire sur le roc, et pas sur les sables mouvants.
Pour vous, qui suis-je ? Jésus a posé la question à ses compagnons de route et de mission. La même question nous est posée à nous aujourd’hui. Nous ne pouvons par complaisance oublier le credo : Jésus n’est pas un être à géométrie variable en fonction des idéologies du moment, il ne vient pas pour tenir un discours démagogique, mais il a historiquement scellé dans son sang la vérité de l’amour que Dieu nous donne et les comportements appropriés qu’il attend de nous ses disciples.Notre meilleure réponse à la question sera dans de discernement que nous effectuons parmi les vagues de confusion, et donc dans la cohérence de nos attitudes au cœur des situations de la vie quotidienne avec tous ses défis. Jésus nous redit : je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps.
Amen
Reproduction autorisée avec la mention suivante : © Abbé Alain René Arbez, prêtre catholique, commission judéo-catholique de la conférence des évêques suisses et de la fédération suisse des communautés israélites, pour Dreuz.info.
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