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13 avril 2022 3 13 /04 /avril /2022 10:40
Le groupe Bolloré quitte l'Afrique après plus de 35 ans de déforestation abusive

Le groupe Bolloré est en train de vendre ses activités de logistique en Afrique qui ont fait sa fortune. Pendant plus de trente-cinq ans, il a été un acteur central de l’exploitation forestière et du commerce des bois tropicaux africains.

Le spectacle qu’offre le terminal à bois du port camerounais de Douala est toujours saisissant. De gigantesques troncs d’arbres et des palettes de bois débité entassés en grande quantité attendent d’être chargés dans des conteneurs ou embarqués tels quels sur des navires en partance vers l’Europe et l’Asie. Ce terminal est le dernier maillon de l’exploitation forestière industrielle menée en Afrique centrale. C’est le groupe Bolloré qui le gère à travers la Société d’exploitation des parcs à bois du Cameroun (SEPBC), dont il est l’actionnaire majoritaire. Sans doute plus pour très longtemps encore : la multinationale française est en négociations pour céder contre 5,7 milliards d’euros ses actifs dans le secteur de la logistique en Afrique (concessions portuaires, ferroviaires, transport de marchandises, etc.) à l’armateur italo-suisse Mediterranean Shipping Company (MSC). « Jackpot en vue pour le groupe Bolloré », titre ainsi le magazine Challenges. Si le marché se conclut, le groupe Bolloré quittera le port de Douala et cessera toutes ses activités liées à la coupe et au commerce de bois précieux africains au Cameroun et dans les autres pays d’Afrique, activités dont il a tiré une partie de sa fortune.

Des grumes de bois dans le port de Brazzaville (fin 2021), au Congo, géré par le groupe français Bolloré Ports. DR

Pendant plus de trente-cinq ans, il a été un acteur de premier plan de cette filière bois. Il s’est d’abord positionné en tout début de chaîne : lorsqu’il s’est implanté en Afrique, au milieu des années 1980, il est devenu propriétaire de deux entreprises d’exploitation forestière au Cameroun, la Société industrielle des bois africains (Sibaf) et la HFC-Forestière de Campo. À l’époque, les grandes compagnies forestières présentes dans cette zone étaient souvent françaises et alimentaient principalement le marché européen. Elles rendaient peu de comptes aux pays dans lesquels elles travaillaient, avaient le contrôle de centaines de milliers d’hectares, coupaient des essences de haute valeur marchande et réalisaient des profits faramineux.

Le contexte a un peu changé dans les années 1990 sous la pression d’organisations non gouvernementales qui ont commencé à documenter et dénoncer les ravages de cette exploitation industrielle sur les humains et l’environnement. La Sibaf et HFC ont fait partie des entreprises épinglées. Sibaf a affecté l’écosystème et a perturbé les traditions et le mode de vie des populations forestières, notait par exemple le Fonds mondial pour la nature (WWF). Alors que le Cameroun durcissait sa législation forestière, les ONG se sont aussi lancées dans la traque des nombreuses infractions commises par les exploitants. En 2000, Greenpeace relevait que Sibaf exploitait une surface supérieure à la limite légale, à savoir 200 000 hectares, et que le permis d’exploitation de HFC se situait à l’intérieur d’une aire protégée.

Le commerce du bois a servi à financer les guerres civiles au Liberia et au Sierra Leone

Apparemment lassé d’être la cible de critiques, le groupe Bolloré a fini par ranger ses tronçonneuses en 2006. Son patron, Vincent Bolloré, expliquait en 2008 au magazine Jeune Afrique avoir lui-même pris cette décision : « Même si ce qui nous était reproché n’était sans doute pas vrai – car je crois que ceux qui coupaient du bois pour nous se préoccupaient de couper plutôt les bonnes essences aux bons endroits sans endommager la forêt –, j’ai pensé que, dans le doute, il fallait sortir de cette activité. » Un an après cette confidence, Vincent Bolloré rétropédalait dans le même journal : « Lorsque nous avons été critiqués sur notre activité forestière, nous sommes partis du Cameroun [...]. C’était lâche. »

Si la holding a cessé de couper des arbres centenaires au Cameroun, elle n’a pas renoncé à transporter du bois africain. Elle l’a d’abord fait par bateau à partir de 1991, après avoir pris le contrôle de la compagnie maritime Delmas. Dans les années 1990, des ONG, dont Global Witness et Survie, soulignaient qu’elle réalisait une part significative de ses revenus grâce à cette activité et l’accusaient de participer au transport du « bois de sang » libérien dont le commerce, longtemps soutenu par la France, a servi à financer les guerres civiles au Liberia (1989-1996 et 1999 -2003) et celle en Sierra Leone (1991-2002). En 2005, le groupe Bolloré a revendu Delmas pour se concentrer sur le transport terrestre de marchandises. Parmi ces dernières figure toujours du bois. Au Cameroun, on peut ainsi régulièrement voir des trains d’une de ses filiales, la compagnie de chemin de fer Camrail, acheminant des grumes d’ayous, de sapelli, d’iroko ou d’azobé depuis la ville de Bélabo (est) jusqu’au port de Douala ou jusqu’à Ngaoundéré (nord). Il y a parfois des accidents : un train chargé de bois a déraillé en octobre 2020, à environ 180 kilomètres de Douala, endommageant sur plusieurs centaines de mètres la voie ferrée, propriété de l’État.

1,4 million de m3 de bois, 11 millions d’euros

Depuis 2018, le groupe Bolloré exploite aussi, en travaillant main dans la main avec quatre entreprises forestières, un « hub logistique » à Lastourville, au centre du Gabon : il y facilite la mise en conteneurs de bois coupés et transformés et leur départ par train vers le port d’Owendo. Cette plateforme « présente plusieurs avantages pour l’ensemble des acteurs de la filière bois. Avec la mise en place d’un bureau douanier en 2020 qui complétera l’offre de service existante, nous serons en mesure de diminuer le temps de transit pour un gain de productivité significatif tout en réduisant considérablement les coûts », a déclaré, lors de sa mise en service, le directeur de Bolloré Transport & Logistics au Gabon.

Le terminal à bois dans le port de Douala, au Cameroun. © Port autonome de Douala (PAD)

Enfin, la multinationale, qui se dit « engagée pour la préservation de la biodiversité », gère plusieurs parcs à bois et deux terminaux à bois [1] à travers la Société d’exploitation du parc à bois d’Abidjan (SEPBA), en Côte d’Ivoire, et la SEPBC, dont elle a pris la direction en 1992 grâce à un programme de privatisations imposé au Cameroun par les institutions de Bretton Woods [2]. Avec ces deux filiales, le groupe Bolloré déclare avoir réceptionné, stocké et expédié 1,4 million de m3 de bois en grumes et débités, pour un chiffre d’affaires cumulé d’environ 11 millions d’euros, en 2017. La grande majorité de cette activité a lieu au Cameroun.

Conséquences irréversibles sur le couvert forestier

Le bois précieux qui arrive au terminal à bois géré par la SEPBC a plusieurs caractéristiques : il vaut cher sur les marchés internationaux et il provient d’arbres abattus dans des conditions douteuses au Cameroun, en République centrafricaine et au nord de la République du Congo. Ces trois États où le niveau de la corruption est élevé appartiennent au bassin du Congo, qui abrite 90 % de la forêt tropicale du continent et constitue le deuxième poumon de la planète après l’Amazonie. Selon de nombreux rapports, les compagnies forestières, qui appartiennent désormais majoritairement à des intérêts asiatiques, ne respectent pas plus les lois qu’hier, que ce soit en matière de pratiques de coupe, de paiement des taxes et d’impôts, etc. Leurs opérations, qu’elles soient légales ou illégales, ont en outre des conséquences irréversibles sur le couvert forestier, comme le montre une étude publiée en 2021 par l’ONG Rainforest Foundation UK.

Le port de Douala, au Cameroun, en 2013. Flickr / CC BY 2.0 / olivier gobet (Gd6d)

La SEPBC a la chance de bénéficier d’un contrat intéressant, signé en 2015 avec le Port autonome de Douala, entreprise publique : il s’agit d’une simple « autorisation d’occupation temporaire », une disposition peu contraignante pour elle à tous points de vue. Il y a d’ailleurs depuis 2016 de fortes tensions [3] à son propos entre le groupe Bolloré et les autorités portuaires car ces dernières veulent remplacer cette autorisation d’occupation temporaire par une convention de concession. Un tel régime permettrait au Port autonome d’imposer à la SEPBC un cahier des charges en matière d’investissements et d’augmenter le nombre et le niveau des redevances que paie l’entreprise à l’État.

Selon nos informations, la filiale du groupe Bolloré paie actuellement une redevance fixe de 1 630 francs CFA par mètre cube de bois et une redevance variable qui représente environ 1,2 % de son chiffre d’affaires. La convention de concession que le Port autonome voudrait faire valider obligerait la SEPBC à payer une redevance fixe de 2 000 francs CFA par mètre cube, une redevance variable représentant 2,5 % de son chiffre d’affaires, une redevance marchandise de 1 200 francs CFA par mètre cube de bois embarqué, et elle la contraindrait à partager à parts égales avec l’État les pénalités de stationnement (les sommes versées aux aconiers – les entreprises assurant le déchargement et chargement des bateaux – par les propriétaires de marchandises séjournant sur le terminal au-delà du délai de franchise légal des navires). Une convention de concession donnerait aussi au Port autonome la possibilité d’avoir un mécanisme de suivi des activités de la SEPBC et de disposer de statistiques précises sur le volume de bois exporté depuis le terminal à bois, ce qui n’est pas le cas actuellement.

Il y a au contraire « beaucoup de flou » dans les chiffres déclarés, confie à Reporterre un haut fonctionnaire, lequel observe avec méfiance le groupe Bolloré en raison des affaires de corruption dans lesquelles son nom est cité et qui lui valent des poursuites dans plusieurs pays africains et en France. Ces procédures judiciaires semblent du reste constituer l’une des raisons qui poussent la multinationale à vendre ses activités africaines de logistique. Malgré tout, son bilan financier sera positif lorsque sonnera pour elle l’heure du départ. Le bilan de son action sur les forêts africaines le sera, lui, beaucoup moins.

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