Avec la découverte, le 14 septembre 2015, par les deux interféromètres géants LIGO des ondes gravitationnelles, l’astrophysique s’est dotée d’un moyen d’observation du cosmos entièrement nouveau, complémentaire à la détection de la lumière des étoiles ou des galaxies par les télescopes.
Ces vaguelettes de l’espace-temps se propageant à la vitesse de la lumière et dont l’existence fut prédite par Albert Einstein voici un siècle sont porteuses d’informations uniques sur les objets qui les ont engendrées. Et ont, en moins de trois ans, déjà fourni aux scientifiques un lot de données inédites sur des phénomènes aussi sensationnels que la coalescence de deux trous noirs ou celle de deux étoiles à neutrons. Qu’en sera-t-il demain lorsque, la sensibilité des instruments augmentant, les astronomes auront accès à des sources moins intenses ?
À l’écoute du bruit de fond gravitationnel
Une équipe internationale associant l’Institut d’astrophysique de Paris (IAP)1, l’université d’Oxford et l’Institut Max-Planck pour la physique gravitationnelle s’est posé la question en tentant de prédire les propriétés du bruit de fond généré par les myriades d’astres, sources d’ondes gravitationnelles de l’Univers.
Cyril Pitrou, Jean-Philippe Uzan et leurs collègues ont recouru à la modélisation afin d’établir les propriétés statistiques des fluctuations de ce signal sur la voûte céleste ; ils se sont notamment intéressés au domaine de fréquences comprises entre 1 et 100 hertz, celui que détectent les instruments américains et franco-italien LIGO et Virgo.
Ils affirment dans la revue Physical Review Letters(link is external)2 que son observation permettrait d’accéder à certains paramètres clés de l’astrophysique encore inaccessibles !
Une onde gravitationnelle est produite par le déplacement d’une masse lorsque ce mouvement a lieu de façon asymétrique. « En théorie, toutes les paires d’astres en rotation l’un autour de l’autre génèrent ces “vagues” à même de déformer la portion de l’espace qu’elles traversent, indique Cyril Pitrou, chargé de recherches CNRS à l’IAP. Mais, en pratique, seules celles issues de paires d’objets très compacts et proches sont susceptibles d’être repérées par LIGO et Virgo ». Couples de trous noirs, couples d’étoiles à neutrons, couples mixtes associant un trou noir et une étoile à neutrons… Ces types de systèmes n’en sont pas moins présents dans toutes les galaxies. Même si la plupart de ces sources manquent de puissance ou sont trop éloignées pour être détectées individuellement, elles forment collectivement un fond d’ondes gravitationnelles, comparable (quoi que de nature différente) au rayonnement diffus infrarouge des galaxies qui a été mesuré d’abord par le satellite COBE de la Nasa puis entre 2009 et 2013 par le satellite Planck de l’Agence spatiale européenne.
Une nouvelle fenêtre d’observation de l’Univers
Quelles sont les caractéristiques de ce flux d’ondes gravitationnelles ? C’est ce qu’a voulu savoir l’équipe de Cyril Pitrou et de Jean Philippe Uzan, en couplant un modèle des grandes structures de l’Univers à un modèle de formation et d’évolution stellaire.
Ces chercheurs ont d’abord estimé les multiples populations de sources d’ondes gravitationnelles d’une fréquence de 1 à 100 hertz au sein des galaxies, selon leur type et leur âge. Puis, une fois l’émission de ces ensembles d’étoiles établie, ils ont fait appel à la théorie cosmologique de la formation des grandes structures afin d’établir les propriétés statistiques de ce fond d’ondes gravitationnelles.
Comme son cousin le fond diffus infrarouge, ce dernier fluctue en puissance selon la direction d’observation. L’équipe a ainsi déterminé que, pour certaines fréquences, les variations par rapport à la valeur moyenne sont de l’ordre de 30 %.
« Ce travail multidisciplinaire, à la croisée de la relativité générale, de la cosmologie et de l’astrophysique, qui s’inscrit dans le prolongement d’un programme de recherches conduit depuis trois ans à l’IAP, se veut prospectif, explique Jean-Philippe Uzan, directeur de recherche CNRS à l’IAP. En effet, la détection de ce fond d’ondes gravitationnelles est hors de portée des instruments de la génération actuelle comme LIGO et Virgo. Mais les progrès technologiques font espérer qu’un tel signal devienne accessible d’ici quinze ou vingt ans. Notre but n’est pas seulement de prédire comment il se manifestera dans l’espoir de tester la validité de modèles, mais également d’explorer le type d’informations astrophysiques nouvelles que son analyse pourrait livrer. »
Ainsi, l’étude suggère que l’examen détaillé de ce bruit de fond est une voie prometteuse pour accéder à certaines données comme le taux de formation et de coalescence des couples de trous noirs ou la répartition en masse de ces astres au sein des galaxies. Corrélé à des observations dans le domaine optique, il pourrait même aider à trancher de grands débats de la cosmologie. Comme celui, très actuel, concernant la possibilité que la matière noire ne soit finalement pas faite d’une matière exotique et inconnue mais seulement de trous noirs… les objets les plus simples de l’Univers… ♦
Notes
- 1.Unité CNRS/Sorbonne Université.
- 2.G. Cusin, I. Dvorkin, C. Pitrou, et J.-P. Uzan, First prediction of the angular power spectrum of the astrophysical gravitational wave background, Phys. Rev. Lett. (120), publié en ligne le 6 juin 2018
[Source] https://lejournal.cnrs.fr/articles/decrypter-la-rumeur-des-cataclysmes-cosmiques
https://arcturius.org/decrypter-la-rumeur-des-cataclysmes-cosmiques/