Paris (AFP) – La France est le dernier pays qui tente de combattre le fléau des fausses nouvelles par la législation, mais ses opposants disent que la loi ne fonctionnera pas et pourrait même être utilisée pour faire taire les critiques.
Le projet de loi, qui vise à mettre fin à ce que le gouvernement appelle la “manipulation de l’information” à l’approche des élections, sera débattu jeudi au Parlement en vue de sa mise en œuvre lors des scrutins parlementaires européens de l’année prochaine.
L’idée du projet de loi est venue directement du président Emmanuel Macron, lui-même visé pendant sa campagne de 2017 par des rumeurs en ligne selon lesquelles il était homosexuel et avait un compte bancaire secret aux Bahamas.
En vertu de la loi, les autorités françaises seraient en mesure d’arrêter immédiatement la publication d’informations jugées fausses avant les élections.
Les réseaux sociaux devraient introduire des mesures permettant aux utilisateurs de signaler les fausses nouvelles, de transmettre leurs données aux autorités et de rendre publics leurs efforts contre les fausses nouvelles.
Et la loi autoriserait l’État à suspendre les chaînes étrangères si elles tentaient de déstabiliser la France, une mesure qui semble viser en particulier la RT soutenue par l’État russe.
Censure ?
Les gouvernements européens se sont efforcés de trouver une réponse au phénomène des fausses nouvelles, notamment après les accusations d’ingérence du Kremlin en France et le vote présidentiel américain qui a amené Donald Trump au pouvoir.
Le gouvernement britannique a mis en place une unité “fausses nouvelles”, tandis que l’Italie dispose d’un service en ligne pour signaler les faux articles et que l’Union européenne travaille à l’élaboration d’un “code de pratique” qui fournirait des lignes directrices aux entreprises de médias sociaux.
La France veut aller plus loin, mais pas aussi loin que l’Allemagne voisine, où les réseaux sociaux font face à des amendes allant jusqu’à 50 millions d’euros (58 millions de dollars) en vertu d’une loi controversée dont les critiques disent qu’elle est trop draconienne.
Certains opposants craignent que les autorités françaises pourraient utiliser les pouvoirs de la nouvelle loi pour bloquer des rapports embarrassants ou compromettants.
“C’est un pas vers la censure”, a déclaré Vincent Lanier, directeur du syndicat national des journalistes français, le SNJ. Il a qualifié le projet de loi d’“inefficace et potentiellement dangereux”.
Le gouvernement insiste sur le fait que des mesures seront intégrées dans la loi pour protéger la liberté d’expression et que ce seront uniquement les rapports “manifestement faux” et devenus viraux – notamment avec l’aide de robots – qui seront démantelés.
“Réduire la liberté d’expression n’est pas du tout l’idée. Au contraire, c’est pour la protéger”, a déclaré la ministre de la Culture, Françoise Nyssen.
Laisser se répandre de fausses nouvelles serait une “attaque directe” contre le journalisme, a-t-elle affirmé.
Mais pour Jérôme Fenoglio, directeur éditorial du journal Le Monde, la législation comporte un trop grand risque de supprimer des informations dans l’intérêt public.
“Les élections devraient être une période de grande liberté – ce sont des périodes où des informations importantes émergent”, a-t-il dit, notant à titre d’exemple le scandale des faux emplois qui a torpillé la campagne du candidat présidentiel François Fillon l’année dernière.
“Nous devrions nous inquiéter de l’arrivée au pouvoir d’un régime autoritaire en France à l’avenir et des méthodes qu’il pourrait utiliser.”
Arbitres de la vérité
D’autres craignent que la loi ne se retourne contre les rapports étiquetés “faux” par les autorités parmi ceux qui sont convaincus que le gouvernement cherche à cacher la vérité.
Fabrice Epelboin, qui enseigne les médias à l’université Sciences Po à Paris, prédit les “conséquences catastrophiques” de la législation qui, selon lui, “est déjà considérée comme une loi de censure”.
“Cela ne fera que renforcer le sentiment de défi envers la presse et les politiciens qui sont déjà très discrédités”, a-t-il averti.
Le leader d’extrême droite Marine Le Pen, dont les partisans sont accusés de répandre de fausses nouvelles, fait partie de ceux qui se sont prononcés contre le projet de loi en demandant : “La France est-elle toujours une démocratie si elle muselle ses citoyens ?”
L’UE, pour sa part, a déclaré qu’elle ne veut pas créer un “ministère de la vérité” orwellien et qu’elle ne légiférera pas sur les fausses nouvelles.
En France, il y a aussi des questions sur la façon dont la loi fonctionnera dans la pratique.
Les juges n’auront que 48 heures pour se prononcer sur une demande urgente de retrait d’un rapport.
Le juriste Vincent Couronne affirme que la loi est “non seulement imparfaite et inutile, mais aussi dangereuse pour la paix et la diversité du débat public”.
Elle transformera les juges en “arbitres du vrai et du faux”, a déclaré Patrick Eveno, professeur d’histoire des médias à l’université de la Sorbonne.
Quant aux médias étrangers, Fenoglio est très mal à l’aise avec l’idée, d’autant plus que Le Monde est bloqué en Chine.
“Je ne peux pas défendre des mesures en vertu desquelles il est considéré comme normal de bloquer toutes sortes d’informations parce qu’elles sont considérées comme proches d’un gouvernement étranger”, a-t-il dit.
Source: Yahoo, le 5 juin 2018 – Traduction Nouvelordremondial.cc