La propriété des terres cultivables constitue un sujet à controverses en Ukraine
depuis la fin de l’URSS et la décollectivisation des terres qui s’en est suivie.
Faut-il abolir la loi qui a autorisé la vente de ces terrains donnant à des
investisseurs étrangers le droit de les acheter ? En Ukraine, ce n’est pas
seulement un sujet de “conversations de comptoir”, c’est une question cruciale.
Les terres agricoles en Ukraine étaient des propriétés de l’Etat à l’époque de
l’Union soviétique. Les agriculteurs travaillaient dans des exploitations
collectives et publiques. Suite à la création d’une Ukraine indépendante,
le gouvernement a décidé de privatiser la plupart des terres agricoles.
Des coupons étaient distribués aux occupants, qui leur permettaient de
devenir propriétaires d’une parcelle agricole délimitée. Mais dans un
contexte de récession économique , beaucoup ont revendu leurs coupons.
Il s’est ainsi constitué un groupe de grands propriétaires terriens, membres
d’ une nouvelle oligarchie. Tout cela avait été encouragé par le
Fonds Monétaire International, juge auto-proclamé des procédures adéquates
de privatisation.
En 2001, un moratoire a été décrété pour faire le bilan de ces transactions,
suspendant la privatisation des terres publiques, et bloquant jusqu’à inventaire
les transactions portant sur des terres privées. Ce moratoire concernerait
41 millions d’hectares de surface agricoles, soit environ 96 % des terres
agricoles ukrainiennes. Environ 10 millions d’hectares étaient à cette époque
encore la propriété de l’Etat ou des communes; et 28 millions d’hectares
appartenaient à des “petits et moyens propriétaires” privés au nombre de
7 millions. Pourtant, même renouvelé régulièrement jusqu’en 2019,
le moratoire n’a pas joué son rôle de stabilisation. Il a certes été
régulièrement renouvelé jusqu’en 2019. Cependant, les difficultés
économiques de la population ont conduit beaucoup de petits propriétaires
à louer leurs terres à des opérateurs qui étaient en fait membres de
l’oligarchie terrienne en voie de constitution. La concentration des terres a
continué sous une forme déguisée.
Ce sujet est passionnant dans la mesure où il est bien vrai qu’une démocratie
repose sur une classe moyenne nombreuse de propriétaires. Or l’Ukraine
s’est, avec les années, toujours plus éloignée de cet objectif. Et, dans ce
domaine comme dans tous les autres, le président Zelensky a trahi l’espoir
que les électeurs avaient mis en lui.
Le candidat Volodimir Zelensky avait proposé l’organisation d’un référendum
pour pouvoir remédier aux défauts du moratoire de 2005, mais il n’a pas eu lieu après qu’il avait été élu.
Pire, Zelensky a fait préparer une loi qui ouvrait largement la terre
ukrainienne à des acquisitions étrangères. Pourtant, selon des
sondages d’opinion 64% des participants des Ukrainiens se déclaraient
contre la vente des terres aux étrangers. Par ailleurs, deux tiers des
personnes sondées réclamaient l’organisation du référendum. promis par
le Président.
La Verkhovna Rada, parlement ukrainien à chambre unique, a fini, en
mars 2020, par voter un texte, sous la pression du Président et celle du
Fond Monétaire International, le principal créditeur du pays. La nouvelle
loi 552-IX a mis fin au moratoire et autorisé les particuliers à acheter jusqu’à
100 hectares de terres à partir du 1er juillet 2021. Dans le même temps, la loi,
apparemment restrictive en ce qui concernait l’acquisition de terres par des
étrangers (personnes physiques ou morales): elle permet l’acquisition de
terres par des sociétés enregistrées en Ukraine; et elle n’a pas régulé le
mécanisme de location des terres pour leur exploitation. C’est ainsi que
les entreprises et les fonds dont nous parlons ont pu contourner la loi.
Second pays plus vaste d’Europe, la superficie totale de l’Ukraine atteint
600 000 km², dont 170 000 km² ont été acquis indirectement (prête-noms
ukrainiens ou baux de longue durée) par des sociétés étrangères, en
grande majorité occidentale, notamment américaines.
Zelenski et les institutions internationales ont toujours présenté cette
réforme agricole comme une condition nécessaire pour attirer les
investissements étrangers, permettant de « libérer » le plein potentiel
des terres agricoles ukrainiennes.
Cette loi était également la condition d’obtention d’un prêt de 5 milliards
de dollars accordé par le Fonds monétaire international (FMI).Mais nombreux
Ukrainiens contestent la loi qui , selon eux, ne fera que renforcer la corruption
(devenu un fléau dans le pays) et l’accaparement des terres par les
grandes multinationales étrangères.
Le Réseau ukrainien de développement rural dénonce le fait que
« la plupart des terres privatisées sont louées par de grandes exploitations
commerciales agricoles…la terre ne sera même plus disponible à la vente
au profit des agriculteurs indépendants ».
C’est ainsi que les investisseurs américains seraient devenus, de manière
déguisée, propriétaires de terres agricoles en Ukraine. Pour rappel, avant
l’adoption de cette loi, des manifestations pro-Zelenski proclamait que
« la terre appartenait aux Ukrainiens » tout en stigmatisant
« les Chinois et les Arabes » qui s’apprêtaient, selon les manifestants
« à emporter notre terre par wagons ». Deux ans et demi plus tard, il s’avère
que ce sont des capitaux américains qui contrôlent un tiers des terres
ukrainiennes – contre seulement 5% pour des capitaux
chinois.