« Sans la victoire en Ukraine, c’est la fin de la Russie »
Alexandre Douguine
« Détacher aujourd’hui l’Ukraine, ce serait couper en deux des millions de familles et de personnes, tant la population est mélangée ; des provinces entières sont à dominante russe. Combien de gens avaient du mal à choisir entre les deux nationalités ; combien sont d’origine mêlée ! Combien compte-t-on de mariages mixtes que jusqu’ici personne ne considérait comme tels ! Dans l’épaisseur de la population de base, il n’y a pas la plus petite ombre d’intolérance entre Ukrainiens et Russes. Frères, ce cruel partage ne doit pas avoir lieu ! Nous avons traversé ensemble les souffrances de la période soviétique ; précipités ensemble dans cette fosse, c’est ensemble que nous en sortirons ! »
Alexandre Soljenitsyne
Depuis la disparition de l’URSS, les crises politiques et la guerre en Ukraine ont toujours représenté une blessure pour les Russes qui n’ont jamais accepté les dissidences ukrainiennes et biélorussiennes accordées trop légèrement par Boris Eltsine, lors d’une soirée tripartite bien arrosée à Minsk, le 8 décembre 1991. Ils comparent cette décision à une « compote », un « bouillon », un « ragoût » mijoté par une ménagère faisant de la mauvaise cuisine occidentale.
Selon les Occidentaux, les enjeux sont énormes pour la Russie : entre l’empire et la démocratie, il lui faut choisir. Mais ce serait en fait un marché de dupes pour la Russie qui doit choisir entre l’empire ou le chaos, l’autoritarisme ou le déclin, la démocratie occidentale et l’éclatement. Boris Eltsine, en instillant la démocratie en Russie, a fait le jeu de l’Amérique, jusqu’à l’arrivée de Poutine en 2000, bradant entre autres les ressources pétrolières aux majors. Les hommes de la CIA étaient prêts à tout pour désagréger la Russie. Zbigniew Brzezinski imaginait, dès 1997, une confédération de trois États russes : une Russie européenne sans l’Ukraine, une république de Sibérie et une autre extrême-orientale. En 2004, il envisageait la désagrégation du Nord-Caucase car les républiques de cette région russe étaient des « petites enclaves ethniques (…) toujours sous domination russe ».
L’Ukraine, perte pire pour les Russes que l’Alsace-Lorraine pour les Français !
L’histoire de la Russie commence en Ukraine en 882 avec la Rous de Kiev, premier État russe ! Les tribus slaves installées depuis le VIIe siècle entre la Baltique et la mer Noire, selon la Chronique des temps passés du moine Nestor (1111), étaient désorganisées, guerroyaient entre elles et étaient incapables de former un État. Elles ont fait appel à des tribus scandinaves, les Varègues, pour former le premier État de Kiev. Les Varègues utilisaient la voie naturelle du fleuve Dniepr pour commercer avec les Grecs de Byzance. Les Slaves ont invité les Varègues à prendre le pouvoir. Le premier prince varègue est Riourik (862-879), frère ou cousin du roi danois, installé au Nord à Novgorod, à 180 kilomètres au Sud-Est de l’actuelle Saint-Pétersbourg.
L’Ukraine, berceau historique et religieux de la Sainte Russie (882-1169)
Oleg le Sage (879-912), prince varègue héritier Régent, s’empare en 882 de Kiev, rattache la ville à Novgorod et fonde ainsi la Rus de Kiev qui, placée sur un axe de communication essentiel, devient la nouvelle capitale. Le territoire de la Rus de Kiev s’étend donc, du nord au sud de la Baltique à la mer Noire, et d’ouest en est des Carpates au Dniepr. Cet État, puissant par sa taille et son commerce, va devenir l’un des plus grands États d’Europe, au début du Xe siècle, tandis que les Varègues scandinaves se fondent dans la population slave. L’autre grand événement qui va bouleverser l’histoire de la Russie est la conversion du prince Vladimir au christianisme orthodoxe de Byzance en 988 à Kherson, au bord de la mer Noire, à l’embouchure du Dniepr. Vladimir épouse la sœur des empereurs byzantins, Basile et Constantin, et étend l’empire à l’Ouest en prenant aux Polonais la Galicie-Volynie.
La cathédrale Sainte-Sophie à Kiev est construite selon les plans byzantins. La très éduquée Anne de Kiev épouse en 1051 Henri 1er, roi de France. Cet État qui s’étire de la Baltique à la mer Noire est devenu le plus grand État d’Europe où tout le monde parle la même langue, le russe. L’Ukraine actuelle est donc le berceau de naissance et religieux de la Sainte Russie. La Rus de Kiev va ensuite décliner progressivement et se morceler, Kiev perdant sa légitimité de capitale, suite à des luttes intestines de pouvoirs entre des princes féodaux ennemis, mais surtout en raison de l’invasion tartaro-mongole au XIIIe siècle, tandis que l’on assiste à la montée en puissance progressive au nord de la principauté de la Moscovie.
La domination de la Grande Pologne jusqu’à la révolte de l’hetman cosaque Bohdan Khmelnitski (1654)
Les Lituaniens et les Polonais (Union Pologne-Lituanie en 1385) combattirent les tartaro-mongols et reprirent la totalité de l’Ukraine. La domination polonaise installe une aristocratie catholique interdite à la masse paysanne ukrainienne de religion orthodoxe et parlant russe. Les élites ukrainiennes maintiennent leurs traditions religieuses tout en se ralliant en 1596 à l’Église catholique par l’union de Brest-Livotsk. Les paysans ukrainiens orthodoxes, épris de liberté, vont s’établir dans les steppes du bas Dniepr qui devient une zone cosaque autonome de non-droit, sous l’autorité d’un hetman. Ni la Russie, ni la Pologne ne parviennent à contrôler ces terribles guerriers, défenseurs de l’orthodoxie et capables de repousser les raids tatars en provenance de la Crimée turque.
Lorsque la Pologne essaye de prendre le contrôle des régions cosaques, la révolte éclate en 1648, commandée par le célèbre Hetman Bohdan Khmelnitski, un véritable héros national dont on peut voir l’immense statue aujourd’hui encore à Kiev. Allié momentanément avec les Tatars contre les Polonais, le chef cosaque réussit à prendre le contrôle de la rive droite du Dniepr ainsi que de toute l’Ukraine, mais trahi par les Tatars, Khmelnitski, pour affronter la Pologne, signe en 1654, avec le tsar Alexis 1er de Russie, un pacte d’alliance militaire. La Russie déclare la guerre en 1660 à la Pologne et en profite pour incorporer les terres ukrainiennes à la Russie. En 1668, suite à un traité entre la Pologne et la Russie, la Russie prend le contrôle de Kiev ainsi que de toutes les terres à l’Est du Dniepr, tandis que la Pologne garde les territoires à l’Ouest du Dniepr.
L’Ukraine divisée sous domination russe et polonaise de 1668 à 1772
À partir de 1668, l’histoire de l’Ukraine est celle de l’État cosaque sous domination russe avec russification et intégration comme province de l’Empire à l’Est du Dniepr, la partie Ouest étant intégrée à la Pologne. L’histoire bascule de nouveau en faveur de la Russie lorsque les 45 000 hommes de Pierre le Grand écrasent en 1709, à la fameuse bataille de Poltava en Ukraine, les troupes du chef cosaque zaporogue Mazepa qui s’était allié à l’armée d’invasion de Charles XII de Suède.
Suite au partage de la Pologne en 1772, la Russie étend sa domination à l’Ouest du Dniepr à l’exception de la Galicie, de la Ruthénie subcarpathique et de la Bukovine qui passent sous le contrôle de l’Autriche. L’Ukraine autrichienne, avec Lemberg (futur Lviv) comme centre culturel ukrainien, devient un véritable havre de liberté, le servage étant aboli par l’empereur autrichien Joseph II. (À suivre)
Marc Rousset – Auteur de « Notre Faux Ami l’Amérique / Pour une Alliance avec la Russie » – Préface de Piotr Tolstoï – Éditions Librinova – 2024