Nucléaire : l’étroite collaboration entre la Russie et la France résiste à la guerre en Ukraine, mais l’Amérique va tout faire pour y mettre fin
La France et la Russie ont de nombreux liens industriels indissolubles dans le nucléaire. Ce secteur ne figure pas dans les sanctions occidentales car beaucoup de monde, (Hongrie, États-Unis entre autres) a d’énormes intérêts et beaucoup trop à perdre dans cette activité.
La plupart des réacteurs en construction hors de Russie par Rosatom, le géant russe du nucléaire, doivent être équipés de turbines françaises Arabelle, avec tout l’équipement et l’entretien qui va avec. Pour chaque nouveau réacteur construit par Rosatom en Europe ou ailleurs, jusqu’à 1 milliard d’euros revient aux technologies françaises de Framatome, filiale d’EDF. Les achats de turbines françaises par Rosatom représentent plus de la moitié du chiffre d’affaires de l’usine de Belfort. Cette fructueuse collaboration résulte du succès à l’export du modèle de réacteur VVER de Rosatom. L’entreprise russe est le premier exportateur mondial de centrales nucléaires et détient 30 % de parts de marché. Les turbines ne sont pas le seul point fort de la filière française bénéficiant du dynamisme commercial des Russes. Framatome est aussi devenu un partenaire clé de Rosatom pour le système de contrôle-commande, un autre composant clé du réacteur VVER exporté par Rosatom.
Les ingénieurs et chercheurs français n’ont donc aucun intérêt à rompre les relations avec leur grand voisin de l’Est, d’autant plus que la Russie est en pointe dans les réacteurs de 4e génération à sels fondus, capables notamment de recycler les combustibles usés des réacteurs français d’EDF. Un accord a donc été signé entre le CEA, EDF et Rosatom, afin d’envoyer du combustible usagé pour qu’il soit réutilisé dans les réacteurs russes. La Russie possède la seule usine au monde capable de « recycler » l’uranium usagé des réacteurs nucléaires français. L’usine russe se trouve à Seversk, dans la région de Tomsk, en Sibérie.
De plus, depuis des années, Rosatom domine la chaîne d’approvisionnement de l’uranium enrichi, c’est-à-dire l’uranium naturel transformé en combustible radioactif, dans le monde. La France a acheté un tiers de son uranium enrichi à la Russie en 2022, les États-Unis 28 % en 2021.
En ce qui concerne l’uranium, la France se fournit au Niger, au Kazakhstan, en Ouzbékistan, en Russie et un tout petit peu en Australie. La France transforme l’uranium en combustible radioactif dans son usine de Romans-sur-Isère dans la Drôme. Rosatom livre aussi de l’uranium naturel à une filiale de Framatome en Allemagne à Linguen, où est fabriqué également de l’uranium enrichi. En 2022, la France a acheté pour 440 millions d’euros d’uranium et d’uranium enrichi à la Russie, soit environ la moitié des achats de l’UE (1 milliard d’euros).
En 2022, 43 % de l’uranium naturel importé en France provenait du Kazakhstan et d’Ouzbékistan. L’uranium est acheminé via des convois ferroviaires jusqu’au port de Saint Pétersbourg, puis par cargos jusqu’en France. Ces transports passant par la Russie ne peuvent être réalisés que sous condition de l’obtention d’une licence délivrée par Rosatom. Il n’y a pas de route alternative possible pour se procurer l’uranium naturel importé de l’Ouzbékistan et du Kazakhstan, d’où l’importance pour la France d’entretenir de bonnes relations amicales avec Rosatom.
Les Russes sont toujours reconnaissants à la France de les avoir aidés quand cela allait mal, dans la décennie 1990, suite à l’effondrement de l’Union soviétique. EDF a alors formé gratuitement des ingénieurs russes en matière de sécurité, suite à la catastrophe de Tchernobyl. Cela permit paradoxalement à la France de pénétrer ce secteur très fermé et de vendre des solutions de « contrôle-commande ».
Le scandale de l’américanisation de la filière 100 % française des réacteurs Arabelle par General Electric, depuis le rachat d’Alstom en 2014, pour rendre la France dépendante de l’Amérique (réacteurs nucléaires EPR, porte-avions Charles de Gaulle et ventes au russe Rosatom)
Le dossier Arabelle, suite à la trahison ou à l’inconscience d’Emmanuel Macron lors de la vente, en 2014, d’Alstom Energie à l’américain General Electric, au lieu de vendre à l’européen Siemens, comporte aujourd’hui une difficulté de taille. Depuis la prise de contrôle par General Electric, les Américains ont cherché à américaniser cette filiale 100 % française. Selon Jean-Michel Quatrepoint dans Marianne, dès que General Electric a mis la main sur « Alstom Power », notamment sur l’activité nucléaire, l’une de ses premières actions a été d’américaniser certains composants sensibles, notamment le contrôle commande de la ligne d’arbres, c’est-à-dire les différents « étages » de la turbine à vapeur et de l’alternateur. Auparavant Arabelle était 100 % française, ce qui n’est plus le cas et peut donc poser problème avec notre faux-ami l’Amérique qui peut procéder au chantage et mettre des bâtons dans les roues de la France, lors des ventes des réacteurs Arabelle au russe Rosatom !
Une épine dans le pied de plus pour la souveraineté nucléaire française, puisque ces prestigieuses turbines doivent équiper les 6 nouveaux réacteurs nucléaires EPR français et le porte-avions Charles de Gaulle. C’est le président de la République Emmanuel Macron, grand défenseur du progressisme et du libre-échange mondialiste, qui a autorisé en 2014 la cession de cet équipement nucléaire stratégique, lors de son passage à Bercy.
La suspension des lancements de Soyouz à Kourou : du beau gâchis et un cauchemar pour l’Europe, la France et Arianespace
En juin 1966, la politique d’indépendance nationale du général de Gaulle a conduit la France à débuter une coopération spatiale avec l’Union soviétique, afin de traverser le rideau de fer de la guerre froide. En juin 1978, Leonid Brejnev permit aux Français d’envoyer la première fusée Ariane, grâce à la fourniture de dimethylhydrazine. La coopération franco-russe s’est étendue tous azimuts, d’une façon très fructueuse, pour de multiples missions : vols habités dans des vaisseaux spatiaux Soyouz de Jean-Loup Chrétien et Thomas Pesquet, observation de Vénus, télescope français Sigma sur le satellite soviétique Granat en 1989, etc.
C’est en 2003 que les lanceurs Soyouz sont autorisés à s’implanter en Guyane, permettant d’intensifier la coopération industrielle entre la France et la Russie que l’OTAN limitait, car considérée comme importation de technologies sensibles. C’est en octobre 2011 qu’a lieu le premier lancement de la fusée Soyouz depuis la Guyane française, suivi de 23 autres lancements fiables et réussis. La réponse de Moscou aux sanctions occidentales, après l’intervention militaire russe en Ukraine, a été très rapide. L’une d’entre elles est la suspension des lancements de Soyouz au Centre spatial guyanais et le rappel des 87 Russes présents en Guyane travaillant pour Roscosmos, en réaction à la décision du Conseil de l’UE d’interdire les exportations vers l’industrie aérospatiale russe. Moscou a tapé là où cela faisait mal pour l’Europe : l’accès à l’espace dans la période de transition très incertaine entre les lanceurs Ariane 5 et Ariane 6.
La guerre en Ukraine aura eu raison de la coopération franco-russe dont le volet commercial avait été lancé en 1996, avec la création de Starsem, et mis un terme à l’aventure Soyouz en Guyane. En onze ans, Soyouz avait mené à bien 27 missions depuis le sol guyanais pour le compte de clients privés, mais aussi de l’ESA et de la Commission européenne. Soyouz a lancé les satellites Galileo, mais aussi des missions emblématiques comme Gaia qui cartographie la Voie lactée.
La Russie, au cœur du gigantesque projet (20 milliards d’euros) de fusion nucléaire ITER à Cadarache
L’objectif d’ITER est de démontrer la réalité de l’énergie de fusion nucléaire. L’enjeu est énorme car il s’agit de fournir une énergie durable, non polluante, sans radioactivité et sans émissions de CO2. La fusion consiste à reproduire dans une machine les réactions physiques qui se produisent au cœur du soleil et des étoiles. Le site d’expérimentation de ce projet international se trouve en France, à Cadarache.
Au cœur du dispositif, une gigantesque machine inventée par les Russes, un « tokamak » où sera produite la réaction de fusion, née de la collision des noyaux de deux variantes de l’hydrogène (le deutérium et le tritium) provoquée par des températures de l’ordre de 150 millions de degrés.
La Russie a envoyé par bateau, à partir de Saint Pétersbourg, malgré la guerre en Ukraine, à l’automne 2022, vers la France, un des six aimants géants prévus pour le « tokamak » sans lesquels il ne peut pas fonctionner. Trois camions avec des équipements russes sont également partis le 13 septembre 2022 de Nijni Novgorod, à destination de la France. « Pas question de ne pas remplir ses obligations dans cet important projet international » a pu dire Viatcheslav Perchoukov, haut dirigeant de Rosatom. « Tout le monde serait perdant, en cas d’exclusion ou de retrait de la Russie. Nous sommes tous une seule famille » a affirmé de son côté Andrei Mednikov, en charge de la maîtrise d’œuvre de la bobine-aimant.
Fruit d’une coopération scientifique entre 35 pays, l’idée du projet ITER est née à l’issue d’un sommet entre l’ancien président américain Ronald Reagan et l’ancien dirigeant soviétique Mikhaïl Gorbatchev, en 1985. (à suivre)
Marc Rousset– Auteur de « Notre Faux Ami l’Amérique/ Pour une Alliance avec la Russie-Préface de Piotr Tolstoï – 370p. – Éditions Librinova – 2024