Dans sa dernière lettre “encyclique” le Pape François s’appuie sur François d’Assise en particulier dans ce paragraphe (3) intitulé : “Sans frontières” (qui n’est pas sans rappeler le “no border” de certaines associations…) en vue de tenter de penser une “fraternité humaine”, au-delà des nations en quelque sorte, ce qui ne se peut, du moins tel quel, puisque par exemple et déjà la Déclaration des Droits de l’Homme est aussi celle du Citoyen d’une part, et que, d’autre part, cette “fraternité” n’exclut pas la confrontation, l’altérité, comme le montre précisément St François d’Assise ce qui va être vu maintenant.
Mais citons tout d’abord les propos du Pape François avant de se référer au texte même du Saint qui ne confirme pas vraiment l’interprétation du Pape ( celui-ci rappelons-le n’étant “infaillible” que lorsqu’il relate, strictement, le Dogme de la Révélation (la Sainte Trinité et l’Assomption de Marie) pas plus, et cela doit se faire “ex cathedra“...)
Voici donc le propos du Pape François :
ressources maigres, de la distance et des différences de langue, de culture et de religion. Ce voyage, en ce moment historique marqué par les croisades, révélait encore davantage la grandeur de l’amour qu’il voulait témoigner, désireux d’étreindre tous les hommes. La fidélité à
son Seigneur était proportionnelle à son amour pour ses frères et sœurs.
Lisons maintenant ce qui est “dit” d’authentifié sur le Saint afin de s’en servir comme prisme : dans un livre publié par les Éditions franciscaines (Paris, 1968) et intitulé ” Saint François d’Assise. Documents. Écrits et premières biographies” et particulièrement au “chapitre 24” des “Fioretti” le titre est déjà le suivant:
“Comment Saint François convertit à la fois le sultan de Babylone et la courtisane qui l’incitait lui-même à pécher (note 1)“
Abordons tout d’abord cette “note 1” (p.1243 du livre) car elle fait référence précisément à ce sultan d’Égypte (celui de Babylone viendra après) dont parle le Pape François, commençons par elle car son contenu établit le but même du “voyage” de Saint François en Égypte: celui d’une…”croisade” en son sens étymologique précisé par Voltaire : « tentative pour diriger l’opinion en faveur ou contre quelque chose»… : l’on y apprend en effet que (Actus, 27) cette “croisade de saint François en Égypte” avait en vue de “convertir les Musulmans” et non pas juste de “fraterniser”; par ailleurs loin de se “soumettre” (comme l’exhorte le Pape) il s’avère que lorsque St François fut en présence de ce Sultan en question, Malek el Khamil (qui le reçut bien) “il prêcha plusieurs fois“, ce qui veut tout dire, et le Sultan loin de s’en offusquer lui “aurait dit” (selon “Jacques de Vitry“) ” en le faisant reconduire au camp des chrétiens: ” Prie pour moi afin que Dieu daigne me révéler qu’elle est la loi et la foi qui lui plaît le plus.”
Ainsi ce Sultan cherche la vérité elle-même et est donc prêt à écouter non pas seulement ce qui rassemble (œcuménisme) mais aussi ce qui le différencie précisément avec St François et qui en sa présence aura sans doute plaidé la Révélation ne serait-ce, peut-être, que cette “Admonition” (p.37 du livre ci-dessus, elle se trouve aussi en ligne ici):
De même, le Sultan de Babylone est lui aussi à la recherche d’une telle altérité, citons le chapitre 24 (accessible en ligne mais sans les notes du livre cité ci-dessus):
Ainsi le Sultan de Babylone, tout comme celui d’Égypte, cherche non pas à ce que l’autre, qui ne fait pas partie de sa foi, fasse seulement que préserver son “identité” (comme l’indique le Pape), mais argumente de telle manière que vient se révéler à lui l’unicité de la vérité par le Christ, le fait que Christ s’avère être le passage nécessaire et obligé, c’est le “par” d’Augustin méditant sur Jean : De, Par, En : du Père, Par le Fils, en le Saint Esprit ; de l’Origine (et la Fin ou le Père) par le Verbe, la Parole la Direction (ou le Fils) en la Grâce, l’Harmonie, la Symbiose du Saint-Esprit. Marie étant, elle, celle qui permet d’être avec ce De Par En; puisqu’elle en fut la Mère terrestre puis céleste ; d’où l’idée de Rhombe (que je défendrais dans un prochain livre: “De Par En Avec“: Trinité comme Rhombe).
D’où la remarque finale : c’est moins en s’effaçant qu’en affirmant ce pourquoi elle a été faite que l’Église peut relever le défi de la Révélation; mais elle ne peut pas le faire en faisant fi de cette distinction émise par Christ entre “César et Dieu”: au sens non pas de refuser de se mêler de Politique, mais, semble-t-il, de croire qu’il suffirait d’en effacer la spécificité, de s’y substituer, pour résoudre les problèmes que pose une altérité non réduite à un assemblage d’opinions singulière mais se vivant, pleinement, comme une recherche, ensemble, de LA Vérité même qui, bien que relative à chaque fois, au sens de la chercher et de la redécouvrir de l’affiner dans chaque instant nouveau, n’en reste pas moins, de ce fait, également absolue puisque dans chaque situation nouvelle il faut retrouver le Fil(s)…
D’où alors le constat qu’il ne soit pas possible ainsi de prôner la “soumission” du Politique au Religieux sans se rendre compte que la présence de personnes ne partageant pas la Révélation Trinitaire (et Rhombique) bouleverse nécessairement les conditions mêmes de la Fraternité qui, elle, ne s’avère possible que dans l’Altérité au sens défini ici de “recherche de la vérité” c’est là l’idée même de Laïcité semble-t-il : chercher ensemble ce qui nous tient et retient (disait Camus). Prosaïquement dit : que l’Église somme l’ONU, l’UE d’agir en vue d’autrui est une chose, qu’elle en appelle au démantèlement des Nations (à leur “déconstruction”?) parce que leurs membranes ou frontières seraient par trop “égoïstes” en est une autre ; car ce n’est pas tenir compte des conditions politiques comme la corruption et, à la base, le refus de la liberté qui est au fondement même de la Révélation (Gen, II, v.19 : Adam créé le nom des animaux il ne les récite pas) qui font que ces absences là, ces “soumissions” là, produisent les raidissements actuels, les meurtres rituels, tel ce malheureux professeur d’histoire-géographie qui est mort en France en martyr (le vendredi 16 octobre 2020 paix à son âme) affirmant la nécessité de l’altérité vraie, lui, et ce dans la tolérance pourtant…
Lucien Samir Oulahbib