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29 avril 2015 3 29 /04 /avril /2015 00:00

Interview de Maître Isabelle Robard

MEDECINES NATURELLES : L'EUROPE DONNE LE TON

La loi Droits des malades marque le début d'un processus de reconnaissance de la liberté en matière de choix thérapeutique. Néanmoins, beaucoup reste à faire en France et dans certains pays d'Europe en retard sur l'évolution de notre société. Me Isabelle Robard, Docteur en Droit, spécialisée en Droit de la santé, nous fait le point de la situation actuelle et à venir.

Alors que les médecines naturelles, depuis les années 1970, se sont imposées en France comme des disciplines de santé à part entière tant du côté des consommateurs que du côté des professionnels de la santé qui les conseillent, le droit français ne s'est pas toujours adapté aux besoins et droits des citoyens que nous sommes. Ceci créant parfois des distorsions, des inégalités et des discriminations dont sont victimes les novateurs qui ont souvent le tort d'avoir eu raison trop tôt. Maître Isabelle Robard, qui œuvre depuis de nombreuses années en vue de faire évoluer les libertés thérapeutiques en France et en Europe, vient de sortir un ouvrage de référence " MEDECINES NON-CONVENTIONELLES ET DROIT " qui démontre la nécessité d'intégrer ces médecines non-conventionnelles à part entière dans les systèmes de santé, afin de permettre aux médecins d'accéder enfin à une véritable liberté de prescription sans encourir les foudres de l'Ordre des médecins et aux praticiens de santé non-médecins de trouver leur véritable place en France, accordant ainsi à chacun d'entre nous le droit d'accès à toutes les médecines.

Elle nous livre ses réflexions et fait le point de la situation en France et en Europe sur le sujet des médecines non conventionnelles, terme officiel dorénavant utilisé pour désigner l'ensemble de ces médecines.




Isabelle Robard, comment en êtes-vous arrivée à vous intéresser aux médecines naturelles ?

Un jour, à la radio, lors d'un flash d'actualités, j'entendis parler d'un médecin qui était en détention provisoire pour avoir prescrit une nouvelle substance, aujourd'hui couramment utilisée en milieu hospitalier. Je fus profondément choquée par cette situation où le médecin se retrouvait en prison pour avoir osé choisir le traitement qu'il estimait, en son âme et conscience, le meilleur pour soigner son patient. Alors étudiante en droit, j'étais en train de terminer un mémoire et l'idée s'est aussitôt imposée à moi de changer radicalement de sujet et de consacrer ce travail universitaire au thème des libertés thérapeutiques. Ce travail sera déposé en 1988. Suite à cela, j'ai contacté un certain nombre de groupements professionnels s'occupant des médecines naturelles pour obtenir des informations. Voyant que les éléments détenus par ces structures étaient largement insuffisants, voire même hors sujet, il me fut confié la réalisation d'un rapport qui débouchera ensuite sur la publication en 1991 de mon ouvrage " La santé hors-la-loi, les hors-la-loi de la santé " (aujourd'hui épuisé), ouvrage qui servira de référence au Parlement européen dans le cadre de la résolution de 1997 sur les médecines non conventionnelles.

Les Français ont-ils véritablement le libre choix thérapeutique ?

J'ai toujours été interpellée par l'extrême difficulté en France de pouvoir se soigner et se maintenir en bonne santé dans des conditions de véritable libre choix. L'Etat ou les Ordres (ordre des médecins notamment) ont la prétention d'enfermer le consommateur dans un schéma de soins bien précis. En effet, il devrait pouvoir se faire que toutes les médecines se complètent harmonieusement dans l'intérêt suprême du patient.

Quel est le statut des médecines non conventionnelles en France ?

Elles n'ont aucun statut en tant que tel et ne sont donc pas véritablement intégrées au système de santé. Il en résulte des poursuites à l'encontre de tous les acteurs touchant à ces médecines : médecins devant l'Ordre des médecins, pharmaciens devant l'Ordre des pharmaciens, fabricants et distributeurs de plantes, de compléments alimentaires ou produits de confort pour falsification notamment devant les juridictions pénales, poursuites pour exercice illégal de la pharmacie ou exercice illégal de la médecine. Certes, en 1982, sous l'initiative du Doyen Pierre Cornillot, est créé le Dumenat (Diplôme universitaire de médecines naturelles). Egalement, l'Ordre des médecins a accepté deux orientations médicales pour les médecins : l'homéopathie et l'acupuncture. Pourtant paradoxalement, même si des diplômes inter-universitaires ont été mis en place dans ces disciplines et en matière de thérapies manuelles-ostéopathie, la situation des médecins qui les pratiquent est souvent des plus délicates lorsqu'ils agissent dans des pathologies lourdes, que ce soit pour recourir aux disciplines que nous venons d'évoquer ou que ce soit pour prescrire des médicaments étrangers. Des poursuites sont engagées pour charlatanisme ou thérapeutiques insuffisamment éprouvées devant la section disciplinaire de l'ordre des médecins. De même, des incidences fiscales ont lieu puisque les services fiscaux continuent à vouloir taxer à la TVA des praticiens non médecins normalement exonérés par la loi.

Néanmoins, des progrès sont à noter en France. En 2002 a été votée une loi " droits des malades " renforçant les droits des patients (accès au dossier médical, information, prévention, réforme de l'Ordre des médecins...) et légalisant les ostéopathes et chiropracteurs, ce qui consacre pour la première fois une remise en cause du monopole médical fixé depuis 1892 et tenant enfin compte des droits des consommateurs.

Quelle est la situation dans les autres pays européens ?

Ces médecines sont très largement utilisées et même légalisées dans de nombreux pays européens : Allemagne, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Irlande, pays scandinaves, Suisse (selon les cantons), Belgique... Mais elles sont aussi très développées aux Etats Unis. La France présente donc un retard de réglementation pour ces pratiques médicales ou de santé.

La situation a longtemps stagné en Europe. Quels ont été les éléments déclenchants de l'évolution actuelle ? Quels ont été les acteurs de ce changement ? L'élément fondamental, malgré ce qui a pu être dit par les uns ou les autres, est sans conteste le vote, le 29 mai 1997, par le Parlement européen, d'une résolution sur le statut des médecines non-conventionnelles. Le député européen, Paul Lannoye, docteur ès sciences, a en effet eu le courage politique et la ténacité de s'engager dans une voie encore très marginale à l'époque pour certains Etats membres de l'Union européenne. Ce texte, bien que n'ayant pas juridiquement de force contraignante sur les Etats de la Communauté européenne, a néanmoins permis de mettre en évidence la volonté de libre choix des citoyens européens (des milliers de pétitions ont été enregistrées) et a provoqué une réaction juridique en chaîne.

Pouvez-vous nous expliquer le choix du terme " médecines non-conventionnelles " ?

Tout d'abord, l'adjectif " non-conventionnelles " est utilisé pour la première fois dans l'histoire des médecines naturelles. Ce terme met fin aux confusions et amalgames de dénominations fantaisistes ou inappropriées pour désigner ce type de médecines mais c'est surtout la consécration d'un terme juridique nouveau admis par toutes les institutions sanitaires internationales. En effet, avant 1997, on utilise surtout les termes de "médecines douces", "alternatives", "parallèles", "holistiques", "complémentaires"... qui désignent un contenu ou une approche médicale. Par exemple, " médecines parallèles " induit deux approches médicales qui ne se rejoignent jamais alors qu'elles doivent au contraire travailler en synergie pour permettre à l'individu d'atteindre, selon les vœux de l'OMS, le meilleur état de santé possible. De même, les termes de " médecines complémentaires ou alternatives ", ne peuvent être désignés qu'au moment de l'utilisation de ces médecines pour savoir si oui ou non elles seront utilisées à titre accessoire, principale ou unique. On remarquera aussi que le terme " complémentaire " laisse entendre qu'il s'agit d'une méthode secondaire ou auxiliaire.

Quelles ont été les médecines non-conventionnelles retenues par le Parlement européen et pourquoi ? Les disciplines mises en avant sont : la chiropraxie, l'homéopathie, la médecine anthroposophique, la médecine traditionnelle chinoise, le shiatsu, la naturopathie, l'ostéopathie, la phytothérapie... car ce sont les médecines les plus couramment utilisées et organisées. Néanmoins, la liste n'est pas exhaustive.

Pouvez-nous nous donner les points essentiels de cette résolution ?

Bien sûr, d'autant que j'ai participé très activement aux travaux juridiques préparatoires dès 1993. Cette résolution vise à harmoniser la pratique des médecines non-conventionnelles tant pour les médecins que pour les non-médecins sur le fondement de la liberté d'établissement au sein de l'Union européenne et demande donc à la Commission de Bruxelles de s'engager dans un tel processus. Dans ce cadre et dès 1993, j'avais demandé à ce que soient insérés deux objectifs en particulier qui me semblaient essentiels : d'une part, un moratoire des poursuites à l'encontre des professionnels dès lors qu'aucun préjudice n'avait été subi par le patient et d'autre part, la nécessité de mettre en place une directive sur les compléments alimentaires (intermédiaire entre l'aliment brut et le médicament) et qui est un outil de travail indispensable pour le praticien de médecines naturelles. Le premier point n'a pu être retenu car il ne pouvait y avoir ingérence de la Communauté européenne dans la politique pénale des Etats. Par contre, le second point sera voté et vient de déboucher sur une directive de juin 2002 relative aux compléments alimentaires.

Quels ont été les effets de cette résolution ?

Il y a eu une réaction en chaîne et cette résolution a eu beaucoup d'impact sur la politique nationale des Etats membres : un projet italien relatif aux chiropracteurs est présenté sur ce fondement, l'Espagne et le Portugal s'appuient également sur cette résolution pour émettre des propositions. La Belgique présente une réflexion sur ce sujet dès 1997 et motivera sa démarche sur le fondement de la résolution européenne en adoptant une loi en 1999. Dès juin 1999, la Commission des questions sociales du Conseil de l'Europe (Convention européenne des droits de l'homme et non pas CEE), adopte, en s'appuyant sur le Parlement européen, une résolution en faveur des médecines non conventionnelles qui sera votée par le Conseil de l'Europe en novembre 2001. Enfin, lorsque le ministère de la Santé français a décidé de mettre en place en 1999 une commission de travail pour légaliser les professions d'ostéopathe et de chiropracteur, c'est notamment sur ce fondement.

Pouvez-nous brosser un bref tableau du paysage européen ?

Oui bien sûr puisque dès 1988 j'ai été amenée à réaliser un travail inédit en droit comparé en France et en Europe et qui a servi de référence au Parlement européen et à la Chambre des représentants belge notamment.

ALLEMAGNE
Dès 1873, la liberté de soigner existait et, c'est en 1939 que le statut de "Heilpraktiker" (praticien de santé) est instauré. Le Heilpraktiker est titulaire d'une "autorisation d'exercer" après passage devant une commission fédérale allemande. Certains actes appartenant aux médecins lui sont interdits (la prescription de médicaments soumis à une ordonnance médicale, la pratique de vaccinations, des accouchements...). Les ostéopathes allemands cherchent à obtenir un statut distinct de celui des Heilpraktiker.

ROYAUME-UNI ET IRLANDE
Dès Jacques 1er (1556-1625), en vertu du droit coutumier, sans texte écrit, il existait une liberté de délivrer des soins aux humains. A la fin des années 1980, une réflexion s'est mise en place en vue d'instaurer un statut juridique pour certains professionnels des médecines non-conventionnelles. Ce phénomène a débuté le 1er juillet 1993 où, par décret royal, les ostéopathes ont été consacrés expressément. De même, le 1er juillet 1994, pour les chiropraticiens. D'autres registres sont en cours de réalisation, notamment celui des phytothérapeutes et acupuncteurs.

PAYS-BAS
Dès1981, un arrêt des poursuites à l'encontre des non-médecins avait été décidé jusqu'à la mise en place d'une réglementation, à condition que les patients n'aient subi aucun préjudice. La Hollande présentait un monopole médical identique à celui de la France depuis 1865. Mais, malgré l'absence de loi en ce domaine, on pouvait lire dans les brochures ministérielles quelques passages sur ces professionnels de la santé totalement acceptés et reconnus dans les faits. Finalement, une loi de novembre 1993 a consacré l'existence d'un droit global à exercice pour les non-médecins.

PAYS SCANDINAVES
En Norvège, c'est une loi de janvier 1936 qui réglemente l'exercice de la médecine par des non médecins mais en leur conférant seul un droit à exercice moyennant certaines limites et non un statut particulier notamment par discipline. La Suède procède à une réglementation similaire en 1960 tandis que les chiropracteurs sont expressément reconnus depuis 1989. Le Danemark fait de même en 1970. C'est une définition négative qui est proposée avec des limites : tout ce qui n'est pas expressément interdit est autorisé. En outre, une réglementation spécifique existe pour les chiropracteurs également depuis une loi de juin 1991

ESPAGNE
Depuis 1989, le Tribunal suprême espagnol relaxait les non-médecins même si aucun texte écrit ne consacrait leur existence en considérant que, dès lors que ces pratiques ne sont pas enseignées en faculté de médecine, elles sortent du champ médical. Le ministère du Travail a pris en compte certaines de ces professions comme celle de " technicien en naturopathie ".

AUTRICHE
En vertu d'une loi de 1984, seuls les médecins peuvent pratiquer certaines disciplines non-conventionnelles. Dans les hôpitaux, l'acupuncture, la neuralthérapie et la chiropractie peuvent être mises en œuvre.

FINLANDE
Les professions d'ostéopathe et de chiropracteur sont organisées en Finlande par un texte de 1994.

SUISSE
La chiropractie est reconnue sur tout le territoire helvétique et bénéficie d'un remboursement par les caisses d'assurance maladie. Mais, en dehors de cela, il n'y pas de réglementation nationale des médecines non-conventionnelles. C'est à chaque canton qu'il appartient d'interdire ou d'autoriser ce type de pratiques et donc, on note des différences selon les cantons. Des travaux associatifs de la part des structures professionnelles sont en cours en vue de permettre une réglementation à l'échelon national.

PORTUGAL
Aucune réglementation spécifique aux médecines non-conventionnelles n'existe pour l'instant. Cependant, le ministère du Travail a référencé certaines professions : acupuncteur, homéopathe et naturopathe. Il convient de savoir qu'au Portugal, la naturopathie est très connue et que la population portugaise y recourt couramment. C'est pourquoi la définition des orientations se fait autour du terme " naturologiste " avec les déclinaisons suivantes : acupuncteur-naturologiste, homéopathe-naturologiste, naturopathe-naturologiste. Un projet de loi nationale est à l'étude depuis 2000.

ITALIE
Il n'y a pas de réglementation spécifique nationale des médecines non-conventionnelles, les ostéopathes et chiropracteurs pouvant exercer sous l'égide d'un médecin au sein du même cabinet. Le 24 octobre 2002, la région piémontaise a voté un texte visant à légaliser les professions d'ostéopathes, chiropracteurs, naturopathes, de praticiens de shiatsu, de médecine chinoise et de médecine anthroposophique notamment, en créant un registre et en fixant des critères minimaux de formation compris entre 5 000 heures de cours et 750 heures de formation selon les professions. Il reste à savoir ce qu'il adviendra de l'application de ce texte... J'interroge les autorités nationales aux fins de mesurer de façon plus précise l'impact d'un tel texte.

BELGIQUE
La Belgique, qui avait pourtant un monopole médical plus accentué encore que celui de la France, a lancé une vaste concertation sur les médecines non-conventionnelles et le ministre de la Santé Colla a déposé un projet de loi. Dans le cadre des travaux parlementaires, avec le député Paul Lannoye, j'ai été auditionnée et amenée à réaliser un rapport juridique d'expertise qui permettra de convaincre les récalcitrants et d'apporter tout un support juridique qui éclairera les députés. Ces travaux parlementaires déboucheront, le 22 avril 1999, sur une loi-cadre légalisant l'ostéopathie, la chiropractie, l'homéopathie et l'acupuncture. En 2001 et 2002 ont été pris des textes confirmant la démarche de légalisation et visant à fixer des critères pour les structures professionnelles enregistrées auprès du Conseil d'Etat belge. Cette loi belge a trouvé directement son inspiration dans la résolution européenne et sera un tremplin pour la France puisque, suite à ce texte belge, le ministre Kouchner mettra en place une commission ministérielle de travail sous la présidence du Pr Guy Nicolas, pour légaliser les professions d'ostéopathe et chiropracteur, débouchant sur l'article 75 de la loi " droits des malades ". En Belgique, il faudra remarquer qu'il existe également une réglementation sur les compléments alimentaires depuis déjà 10 ans, contrairement à la France.

Nous constatons depuis plusieurs années un nombre impressionnant de procès dans le domaine des compléments alimentaires, à l'encontre des fabricants, distributeurs et voire même des praticiens. Effectivement, je dirais même que ces poursuites finissent par devenir extrêmement fréquentes en raison, à nouveau, d'une insuffisance de réglementation en France alors que ce type de produits sont en vente libre ailleurs (Grande-Bretagne, Allemagne, Belgique...). En effet, pour résumer, les texte français remontent à 1912 et c'est le principe de la liste dite positive qui s'applique (tout ce qui n'est pas autorisé est interdit), ce qui est une aberration qui entrave le libre choix des consommateurs à l'heure de la mondialisation et qui porte atteinte à la libre circulation des marchandises au sein de l'Union européenne. D'ailleurs de nombreuses plaintes s'accumulent contre la France à Bruxelles. La Communauté européenne a voté en 2002 une directive sur les compléments alimentaires qui légalise ce type de produits par une liste positive qui sera réactualisée régulièrement. A souligner que la France est déjà contredite par ce texte européen qu'elle va devoir appliquer.

Mais, les citoyens ont pourtant un droit à importer des produits bénéfiques pour la santé, n'est-ce pas ?

Oui, tout à fait. Depuis un texte de 1992, les patients ou consommateurs que nous sommes, peuvent importer des médicaments non autorisés sur le territoire français ; de même que les médecins peuvent les prescrire en en faisant la demande à l'Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) mais en fait la procédure est longue et en cas d'urgence, totalement inefficace. D'ailleurs à ce propos une plainte a été déposée contre la France à Bruxelles à ce sujet car en pratique le système fonctionne mal, rendant inefficace un tel droit. Par contre, en matière de compléments alimentaires, aucun texte n'interdit ou n'autorise expressément une telle importation. Etant donné qu'il ne s'agit pas de médicaments, c'est le droit communautaire sur la libre circulation des marchandises qui doit s'appliquer tandis que pour les pays étrangers à la CEE, aucun texte n'accorde le droit aux autorités françaises d'interdire l'importation de vitamines par exemple en provenance des Etats Unis. Malheureusement pourtant, les agences sanitaires de notre pays bloquent l'entrée de tels produits sur le territoire français en " décidant " arbitrairement qu'il s'agit de médicaments.

Il y a eu notamment une affaire retentissante de compléments alimentaires à base de minéraux. Pouvez-vous nous dire deux mots de cette affaire ?

Etaient poursuivis pour exercice illégal de la pharmacie, infraction à la législation sur les substances vénéneuses et mise en danger de la vie d'autrui, les fabricants d'orotates, les distributeurs et, chose encore plus rare, des prescripteurs médecins, kinésithérapeutes et naturopathes et deux consommateurs qui avaient osé en conseiller à leur famille et à quelques amis. Or, poursuivre les prescripteurs de tels produits, c'est une façon de leur interdire de faire de la prévention car qu'il est de plus en plus reconnu que l'alimentation joue un rôle fondamental sur la santé, que ce soit d'ailleurs à titre préventif ou curatif. Les poursuites empêchent les praticiens et usagers de prendre en compte l'alimentation comme moyen de parvenir, selon l'expression de l'Organisation mondiale de la santé, "au meilleur état de santé possible". Ce procès est exemplaire car il est la manifestation de la modification des rapports de force entre institutions médicales et patients, ces derniers devenant de véritables consommateurs. On sort du "paternalisme médical", expression du doyen Savatier dans son Traité de droit médical des années 1950 pour entrer dans l'ère du consommateur de soins de santé. Le patient se mue en acteur de sa santé, il veut comprendre, être informé et décider en toute connaissance de cause. Ce qui m'a choquée c'est que l'on poursuive les prescripteurs et même les consommateurs, ce qui me semble une atteinte profonde au libre choix thérapeutique et alimentaire.

Vous avez précisé que la France était l'objet de plaintes à Bruxelles en matière de plantes. Pour quelles raisons ? Comment ces produits sont-ils réglementés dans notre pays ?

Un décret de 1979 autorise la vente en dehors des pharmacies de 34 plantes seulement alors que la Belgique autorise la vente libre de 320 plantes ! Ceci pose problème dans la mesure où certaines plantes peuvent entrer dans la composition de compléments nutritionnels ou de confort et donner lieu à des poursuites pour exercice illégal de la pharmacie. La France cultive en général l'art de la contradiction : par exemple, alors que l'homéopathie est remboursée par la Sécurité sociale, elle est encore considérée par l'Ordre des médecins (même si elle est tolérée comme orientation médicale) et par l'Académie de médecine comme une thérapeutique insuffisamment éprouvée. Dans les départements français d'Outre-mer, qui appartiennent pourtant à la France, une et indivisible, il sera très troublant de remarquer que les plantes d'Outre-mer ne sont pas légales car non enregistrées dans un recueil officiel appelé " pharmacopée française ", anciennement codex. La conséquence en est que les pharmaciens d'officine des DOM-TOM ne peuvent pas vendre leurs plantes locales mais sont contraints de proposer uniquement les plantes métropolitaines (voir encadré).

Quel devrait être, selon vous, le rôle de l'Etat en matière de santé, ne doit-il pas avant tout de protéger l'individu et non jouer au censeur ?

Le rôle de l'Etat n'est pas de se substituer à l'individu pour choisir et décider à sa place quelle alimentation il doit privilégier, quels soins il doit recevoir ou quels médicaments il doit consommer, mais l'Etat est là pour offrir une information claire, loyale et transparente, coupée de tout intérêt politique, économique et corporatiste, permettant ensuite au consommateur de faire son choix lui-même.

Vous avez largement contribué à faire évoluer le droit français et européen (résolution Lannoye, article 75 Droits des malades, loi belge, projet de loi portugais, évolution de la jurisprudence en matière fiscale, pénale et disciplinaire). C'est déjà un bel acquis pour le droit de la santé, que reste t-il encore à faire ? Quels objectifs vous êtes-vous fixés ?

Pour l'essentiel, je me suis fixé comme objectif de contribuer à la prise de conscience que nos institutions sanitaires doivent pour certaines être réformées (trop de liens avec l'industrie pharmaceutique ou agro-alimentaire notamment). J'espère aussi que les pouvoirs publics actuels sauront aller jusqu'au bout de la réforme qui a été engagée dans la loi " droits de malades " à propos de l'Ordre des médecins. Cette réforme de l'Ordre des médecins est une première puisque, depuis Vichy, jamais aucun débat parlementaire n'avait eu lieu sur ce sujet. Mais il est clair que, dans un deuxième temps, il faudra aller encore plus loin car des problèmes n'ont pas encore été évoqués. C'est aussi le libre choix du consommateur de santé qui doit être renforcé en lui permettant d'accéder concrètement à tous les produits médicamenteux ou non de son choix, dans le respect bien compris de la libre circulation des marchandises et d'accéder à une véritable information. Ceci veut dire aussi des réglementations bien faites en matière de plantes, compléments nutritionnels... Car l'enjeu de la médecine du troisième millénaire repose sur "un nouveau rapport de force" entre le patient et le thérapeute. Le patient n'est plus passif : il veut reprendre le contrôle de son corps et décider lui-même de ce qui est bon pour lui. En bref, contribuer à faire triompher le libre choix thérapeutique de telle sorte que soit restaurée l'autodétermination de l'individu sur son propre corps, autodétermination que nul pouvoir, nulle logique commerciale ne saurait annihiler.

Propos recueillis par Guy Roulier.


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Le dernier ouvrage d'Isabelle Robard
MEDECINES NON-CONVENTIONNELLES ET DROIT


Depuis environ 30 ans, la demande des consommateurs européens s'est orientée de façon croissante et constante vers les soins de médecines naturelles, qualifiées par le Parlement européen de " médecines non-conventionnelles " et de " médecines traditionnelles " par l'Organisation mondiale de la santé. La France et les Etats membres de l'Union européenne ont répondu à la demande légitime de la population en adaptant progressivement leur législation pour intégrer ces médecines dans leur système de santé. Une évolution jurisprudentielle et réglementaire concernant notamment l'exercice illégal de la médecine et la commercialisation des compléments alimentaires s'instaure progressivement. Dans le même temps, les droits des patients, qui exigent de choisir leur traitement et leur médecine, s'affirment. Le thérapeute passe du rôle de décideur à celui d'accompagnateur du malade. Parallèlement aux problèmes juridiques que rencontrent les professionnels de santé, médecins ou non-médecins, dans l'exercice de ces pratiques médicales, de nouvelles catégories de produits ou substances (compléments nutritionnels, plantes, médicaments sans autorisation de mise sur le marché - AMM), sont à la recherche d'un véritable statut juridique. Cet ouvrage inédit intéressera les journalistes, les professionnels de santé, les juristes, les pouvoirs publics et les parlementaires et, bien entendu, les usagers des médecines douces, consommateurs ainsi que les responsables d'associations s'intéressant aux médecines non-conventionnelles.

L'AUTEUR
Isabelle Robard est docteur en droit et avocat, spécialisée en droit de la santé et chargée de cours en faculté de droit. Elle est l'auteur de nombreux rapports sur ces questions. Ses travaux ont servi de référence au Parlement européen et à la Chambre belge des représentants. Son premier livre " La santé hors-la-loi, les hors-la-loi de la santé ", pionnier dans ce domaine, fut présenté par l'OMS dans son recueil international de législation sanitaire.

- " Médecines non-conventionnelles et droit - la nécessaire intégration dans les systèmes de santé en France et en Europe ", Isabelle Robard, Editions Litec, Collection Actualité. 150 pages, 16 €.

Ouvrage disponible chez votre libraire habituel, dans les librairies Litec, par téléphone aux Editions Litec Service relation clientèle au 0826 026.027 et par fax : 01.45.58.94.00 (frais de port offerts, en vous recommandant de Biocontact Code 2G49).

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